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Discours de consolation, dont beaucoup d’exemplaires, — le Journal nous en est témoin, — furent distribués à ses amis et aux libraires ; et dans ce discours on lisait que la Révolution « n’était pas un événement, mais une époque, et que « mille fois heureux étaient les hommes qui n’étaient appelés à contempler que dans l’histoire les grandes révolutions. »

Maistre, destiné à vivre parmi les convulsions, se refusait à récriminer contre « l’Être très-bon et très-grand... Tous les maux dont nous sommes les témoins et les victimes, déclarait-il, ne peuvent être que des actes de justice, ou des moyens de régénération également nécessaires. N’est-ce pas Lui qui a dit, par la bouche d’un de ses envoyés : je vous aime d’un amour éternel ? Cette parole doit nous servir de solution générale pour toutes les énigmes qui pourraient scandaliser notre ignorance. Attachés à un point de l’espace et du temps, nous avons la manie de rapporter tout à ce point ; nous sommes tout à la fois ridicules et coupables [1]. »

Ces deux textes décisifs, qui pourraient servir d’exergue aux prochaines Considérations sur la France et aux lointaines Soirées de Saint-Pétersbourg, témoignent que Maistre, dès 1794, insérait la Révolution française dans le plan divin, et qu’il adhérait à toutes les rigueurs de ce plan, comme à tous ses mystères. Saint-Martin, en 1795, dans sa Lettre à un ami, dira de la Révolution qu’elle est « un événement surnaturel et universel ; » et Adolphe Franck, de s’écrier plus tard : Voilà où Maistre a puisé la doctrine de ses Considérations ! Mais cette doctrine, elle pointait déjà dans le Discours à Madame de Costa. Et le manuscrit de Maistre : Etude sur la souveraineté, qui remonte aussi à 1794, précède de trois ans l’Eclair sur l’association humaine, où Saint-Martin expliquera que la souveraineté des peuples est leur impuissance, et qu’elle consiste à laisser faire la Providence. Le penseur catholique et l’illuminé philosophe n’avaient point à se faire l’un à l’autre des emprunts : une certaine atmosphère commune continuait de les imprégner, à travers laquelle ils observaient ciel et terre, et

  1. Œuvres, VII, p. 273-275. — Voir, dans le même ordre d’idées, au sujet du fonctionnement de la justice divine, le curieux morceau anonyme : Vision dans une nuit du mois de mai, publié en 1794 dans le Journal littéraire de Lausanne, et que M. Baldensperger reproduit dans la Revue de littérature comparée, janvier-mars 1921, p. 142-150, comme étant peut-être une page inédite de Maistre.