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par M. le Saint-Martin. » Et le 22, le Journal porte : « Je pars de Chambéry avec MM. les chanoines Bain et Chevalier. »

Dans la vie de Maistre, une nouvelle période s’inaugure ; elle s’ouvre sur des ruines. Détruit, l’établissement religieux qu’encadrait correctement l’Etat sarde, et qui représentait en face du philosophisme la révélation chrétienne. Détruites ou dispersées, ces sociétés d’illuminés qui se flattaient de dévoiler aux amateurs de mystères d’autres avances de la générosité divine. Maistre s’en allait avec deux chanoines, comme lui déracinés : ce cortège était un symbole.

Sur ces mêmes routes où il commençait de vagabonder, et dont Aoste, Genève, Lausanne, allaient être les étapes, flottaient, en quête d’un abri, les épaves de deux Eglises : épaves de l’Eglise de France, qui, naguère réfugiées en Savoie, s’effaçaient devant les armées révolutionnaires ; épaves de l’Eglise de Savoie, qui préféraient l’exil à la nécessité de prêter serment. Du seul « diocèse de Genève, » dont Annecy était le centre, six cent trente-deux prêtres émigraient en Piémont [1]. Et sous les regards de Maistre ambulant, deux Eglises sans terre promenaient elles-mêmes leur virile détresse.


I. — LE SÉJOUR DE LAUSANNE : UN APPRENTISSAGE POUR L’AVOCAT DE LA PAPAUTÉ, UNE « ILLUMINATION » POUR L’AVOCAT DE LA PROVIDENCE

Lausanne fixa Maistre, pour un temps. Sa plume s’acérait, pour lancer au delà des Alpes les Lettres savoisiennes. Discrètement, il organisait un service de renseignements sur les faits et gestes des révolutionnaires en Savoie, puis entrait en relations avec les insurgés lyonnais. Les agents de la Révolution le surveillaient, et l’un d’eux, Venet, dans une railleuse dépêche, montrait Maistre « faisant gravement subir des inter- rogatoires, dans sa salle d’audience qui est en même temps la cuisine, » aux émigrés qui sollicitaient des passeports pour le Piémont [2]. Nombreux étaient les prêtres qui savaient le chemin de cette « cuisine : » ils trouvaient, auprès de Maistre, des secrétaires-prêtres, Noirot, Saunier. Les uns apportaient des

  1. Victor Pierre, Revue des Questions historiques, 1er juillet 1898, p. 123 et 134.
  2. Vermale, Annales révolutionnaires, septembre-octobre 1920, p. 383-388 — Descostes, Joseph de Maistre pendant la Révolution, p. 471-490. — Mandoul, Joseph de Maistre et la politique de la maison de Savoie, p. 39, n. 4 « Paris, Alcan, 1899).