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même facilité que les princes du sang, ce qui était fort maladroit ? Rien en effet n’exaspérait autant Louis XIV que les prétentions de la maison de Bouillon. Il n’y avait pas deux mois qu’un gazetier hollandais ayant cité dans un article : « MM. les princes de Conti, de la Roche-sur-Yon et de Turenne, » la Gazette de France avait riposté bientôt en parlant de « MM. les princes de Conti et de La Roche-sur-Yon » qui avaient « à leur suite MM. de Turenne, de Sillery, le chevalier d’Angoulême, etc. »

Laissant M. de Turenne s’acheminer vers la frontière, et devançant Conti mal remis des fatigues du voyage, qui se reposa quelques heures à Château-Thierry, La Roche-sur-Yon gagna Paris le jour même, descendit à l’hôtel de Condé. Il en repartit vers deux heures du matin, avec son frère, et prit la route de Chartres, pour rejoindre le Roi à Gallardon. Louis XIV allait à Chambord, mais en passant par Maintenon et Chartres ; car il tenait à visiter les travaux de l’aqueduc qui devait amener les eaux de l’Eure à Versailles, qui ne fut jamais achevé, et dont on voit les ruines aujourd’hui.

Les princes arrivèrent sur les dix heures à Gallardon. Le Roi n’y était déjà plus. Ils coururent l’attendre à Chartres. Le soir, ils le virent enfin, « se jetèrent à ses pieds, lui demandèrent pardon de lui avoir déplu, et Sa Majesté leur répondit qu’il était bien aise de leur retour et que des princes du sang étaient mieux auprès de lui que partout ailleurs. » « Accueil assez doux, » si l’on songe que le Roi connaissait probablement de certains lardons attribués à La Roche-sur-Yon, celui-ci en particulier : a Roi de théâtre pour représenter, roi d’échecs quand il faut se battre. » Par malheur, sous cette magnanimité apparente, Louis XIV cachait un ineffaçable ressentiment, et « les lettres interceptées qui lui avaient été écrites et qui avaient perdu les écrivains, » avaient aliéné pour toujours à l’imprudent jeune homme la bienveillance du maître.

L’après-diner du 7 septembre 1685, le Roi arriva au château de Chambord, et les courtisans se dirent bientôt les uns aux autres que le prince de Conti avait perdu les grandes entrées. Le châtiment était plus grave qu’il ne nous paraît au premier abord. Il privait Conti d’une faveur insigne, celle d’entrer à certaines heures, « dans tous les lieux retirés des appartements du Roi, » et de parler à Sa Majesté en tête-à-tête, sans solliciter une audience difficile à obtenir et toujours remarquée.