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revers italien, un thalweg vert et fleuri semé de jardins et de maisons, c’est Sparte : un ruban d’argent sinueux, c’est l’Eurotas ; au pied d’une grande muraille à pic, déchirée, noire, dentelée, aux cimes de neige, c’est le Taygète ; et, au seuil de la plaine, détaché de la grande masse noire, un mamelon couronné de créneaux clairs, c’est Mistra, la ville franque et féodale.

Un docteur télégraphiquement aposté par le tutélaire Schinas m’attendait, accompagné de l’Ephore des Antiquités qui m’a promené de 6 heures à 8 heures dans la vieille Sparte, et un petit officier sorti naguère de notre Saint-Cyr est venu renforcer cet État-major. Ce coup de théâtre du tournant de Broulia, cet accueil et cette soirée ont emporté dans un rayon de sympathie et d’admiration le mauvais souvenir de la route, cinq longues heures mornes, chaudes, cahotées, à travers ces montagnes lourdes et monotones.

C’était pourtant l’Arcadie, je rencontrais pourtant des bergers menant leurs chèvres, mais j’avais beau m’auto-suggestionner sur ces deux noms accolés, pas moyen de poétiser ces gens sales et vulgaires cheminant parmi cette campagne poussiéreuse et nue.


Mais ce soir, ma chambre est la dernière de Sparte à l’Ouest, son balcon s’ouvre sur le Taygète, le grand Taygète, sous la nuit étoilée, la grande nuit radieuse et étoilée. — Bonsoir…

… Je me résigne, après des heures de rêve, à me coucher ; sur la table l’hôtelier a mis un livre : l’Iliade ou Thucydide ? je l’ouvre et je lis : οἱ ἱππόται τοῦ στερήματος, ὑπὸ Παύλου Φέβαλ. (Les Chevaliers du désespoir, par Paul Féval.) — Ah, zut !

Lundi, 12 juin, 6 heures soir.

De ce même tournant de Broulia, où mes chevaux reposent une demi-heure, après avoir monté la route en lacets, et où, hier à trois heures, me sont apparus Sparte et le Taygète. La voiture est dételée, guides, chevaux et cochers s’abreuvent au bouchon. Je suis installé sur la banquette de devant, ma valise me servant de table, les yeux au Sud, sur la vallée, sur le Taygète ; — sur la vallée où le soleil tombant jette une grande lumière, sur le Taygète où la neige étincelle. Tout autour de la voiture tourne un pope déguenillé et crasseux, il m’agace