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n’est plus la chaleur de la plaine d’Argos, propice aux élucubrations.

Mon trop expansif drogman a encore bavardé, de sorte qu’il m’a fallu subir le diner du Lieutenant-Colonel commandant la place : un énorme nez, une énorme moustache et deux yeux fixes ; c’est tout ce qu’on en distingue. On dirait un masque. Il ne sait pas un mot de français, j’ai bien oublié mon grec, et il passe son diner à me toaster par interprète à la France, à la revanche de 1870, au général Dodds ! Je réponds sur le même ton et je finis en lui exprimant le vœu de voir avant de mourir les Grecs à Constantinople, sans avoir d’ailleurs la moindre envie de contribuer si peu que ce soit à cette solution de la question d’Orient.


Dimanche, 11 juin, 10 heures du matin.

La voiture attend, pour Sparte. Par cette lumineuse matinée dominicale, elle est charmante, la grande place de Tripolis, où d’une table de café, à l’ombre d’un platane, entre mon colonel et un commandant qui parle le français, je regarde circuler la ville et la campagne. Presque pas de vestons. Sauf quelques employés, sauf un neveu de M. Constantopoulo qui parle politique à un groupe de campagnards, tout le monde est en fustanelle, la belle fustanelle des dimanches, avec un gilet bleu et la jolie veste grise brodée à grandes manches, l’une passée, l’autre au vent : les vieux ont encore les épaisses ceintures en cuir bleu ou rouge brodées d’or et d’argent, que les jeunes ont simplifiées. Et ils vont, viennent, lents, avec toujours ce beau pas, étendu et rythmé, et ils causent avec des gestes larges et des regards circulaires. Ils sont toujours à l’Agora, ces Grecs. L’œil est réjoui, — je fais le tour des boutiques, j’achète une paire de babouches, — puis de bonnes poignées de main, des Kalimère, des Eucharisto, des Kalotaxidi avec mes officiers et je boucle ma valise, — pour Sparte.


Sparte, 11 juin, 11 heures soir.

Voir, assis sur un débris de ce qui fut Sparte, le soleil se coucher derrière le Taygète, nimbé de neige, eh bien ! mon vieux, c’est très chic !

C’est une de ces impressions qui restent à jamais sur la rétine ce débouché de Broulia, deux heures avant l’arrivée, au dernier tournant de la route. A ses pieds un val alpin du