clair. Mon hôte me raconte que l’an passé, près de la Bourboule, visitant avec des amis quelque curiosité du pays, il fut très frappé de l’air narquois et revêche de nos paysans, qui en deux heures, dit-il, ne leur offrirent pas un banc. Nous ne savons que trop combien l’abîme est profond ! Mais à qui la faute ? On ne rencontre pas dans la plaine d’Argos de mail-coach insolents proclamant au son de leurs trompettes ridicules le gaspillage du rude travail qui les paye et le sait. Je ne vois chez personne, ni chez mes élégantes Grecques d’Athènes, ni chez Schinas, la hideuse morgue qui intercepte tout contact, cause les irrémédiables blessures et creuse les haines que l’aumône condescendante ne fait qu’aviver.
À Mycènes. — Nous gravissons sous le soleil de midi, ce « nid de pirates » accroché aux flancs du mont Zara, au débouché des défilés qui joignent le Péloponèse à la Corinthie Si près de la plaine fertile et riante, c’est plus sauvage, plus déchiré, plus désolé, plus brûlé, que les repaires de l’Atlas. Ici encore je te ferai grâce des descriptions que tu trouveras dans tous les guides. La « Porte des Lions » se détache fièrement sur le fond lointain et rose du rocher. Nous recauserons sur images de ces monolithes stupéfiants, hissés, — par quels moyens ? — au sommet des voûtes et des portes.
Le commandant Schinas avait mis dans la voiture un excellent déjeuner auquel nous avons fait joyeusement honneur, servis par son ordonnance, installés sous la porte même, sur le grand seuil d’un seul bloc. Sous cette porte ils sont passés, sur ce seuil ils ont marché, voici plus de trois mille ans, les chefs s’appelant ou non Agamemnon, qu’importe ? Ils étincelaient sous les baudriers d’or, les cuirasses d’or, les anneaux et les bracelets d’or, les armes de bronze où courent des chasses d’or qu’il y a quatre jours je voyais à Athènes, que j’aurais pu toucher et qui sortent d’ici, de ce vaste tombeau béant qui est là, derrière ce mur. Ils passèrent sous cette porte, ils foulèrent ce seuil, quel que fût leur nom, pour aller à ce fond de golfe que je vois et où les barques attendaient, la proue vers Troie,
Et le vin de Santorin remplit nos verres. L’heure et le lieu sont propices aux divagations : l’histoire sort vivante de ses profondeurs, et dans le grand silence, les trois buttes se mettent à parler ; Argos, Tirynthe, Mycènes, couronnées de forteresses