manière de la petite ville de La Bruyère et de Picard. « Cet endroit a je ne sais quoi de frais et de tranquille. Que les passions y sembleraient donc déplacées et inutiles ! » Mais chacun porte en soi son démon intérieur. C’est Sganarelle qui a amené son maître à Verrières dont il est né natif. Il y a servi dans la maison de Géronte, et connu les douceurs et les amertumes de la vie conjugale auprès d’une coquine qui a fait du nom de Sganarelle le synonyme de ce que vous savez. Nous retrouvons notre Sganarelle tel que nous le connaissons, brave homme et poltron, de ferme bon sens et de caractère faible. Ce paysan français est peu voyageur : c’est sa mauvaise étoile qui l’a attaché aux pas de Don Juan. Il faut l’entendre parler de l’Espagne et de l’Italie. « Ah ! les vilains lieux et les méchants gîtes ! Et savez-vous, monsieur, rien de plus laid que cette grande villasse de Naples, avec ses rues sales, ses gens en guenilles et son gros volcan qui crache sa fumée ? » Non, il n’a pas le sens de l’exotisme. Ce qu’il reproche surtout à Naples, c’est d’avoir donné le jour à ce gueux de Leporello. a N’est-ce pas à Naples où vous l’avez trouvé dormant les pieds au soleil sur les dalles du quai, couvert encore de la vermine attrapée aux galères dont il sortait ? N’est-ce point de là que lavé, décrotté, vêtu, vous l’avez emmené avec vous sans crainte de donner à un honnête serviteur comme moi la société dégoûtante d’un pareil drôle ? » Ainsi Don Juan, dans la pièce de M. de Régnier, nous apparaît flanqué de ces deux acolytes, dont l’un lui sert de pourvoyeur à ses vices et d’instrument à ses crimes, tandis que l’autre est chargé de lui faire entendre l’inutile voix de la morale.
Géronte, le bourgeois cossu, égoïste, épicurien, bardé de principes et bourré de préjugés qui ne fléchissent que dans sa propre cause ; son frère, Anselme, tourné à la dévotion et censeur des mœurs du temps ; Léandre, l’amoureux classique, tendre, discret et si gentil ! Angélique, la jeune fille de ce temps-là, élevée dans les soins domestiques, destinée à devenir une ménagère accomplie, et qui rêve d’autres joies ; Dorine, la suivante, effrontée, le verbe haut et qui a ses raisons pour que le maître de céans ne lui fasse pas baisser le ton, tels sont les personnages qui défilent devant nous, chacun pris dans son air, où chacun nous paraît aimable. Le second acte leur appartient tout entier, rempli de conversations destinées à nous remettre en mémoire leur visage familier, non sans quelques retouches qui sentent leur dix-huitième siècle.
C’est su troisième acte que se découvrent la pensée de l’auteur et