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la pensée, rayonnent, avec leurs noms illustres, tous les détails du tableau. Les murs qui arrêtent de ce côté-ci le sommet de la pyramide, ce sont ceux mêmes que Thémistocle rétablit à la hâte, après Salamine, Platée et l’expulsion des Perses, employant comme matériaux les débris des temples brisés ; et ces taches blanches que je distingue si nettement dans la masse de la muraille, ce sont ces mêmes chapiteaux, ces mêmes fûts de colonnes. Cette haute croupe, à gauche, semblable au des puissant d’un taureau roux, c’est l’Hymette. A droite, cette échappée de mer, c’est la rade à l’Ouest du Pirée, les eaux de Salamine, — et il me suffirait de monter deux étages pour découvrir le promontoire d’où, voici deux mille quatre cents ans, Xerxès assis sur un trône d’argent assistait au désastre de sa flotte.

Ma foi, que les snobs nous traitent de pédants, mais quand on est amoureux d’histoire, d’art, et de cette mère des civilisations qui a révélé la beauté au monde, il est impossible de rester froid devant un paysage qu’on peut étiqueter de noms pareils.


VII


Athènes, le 5 juin.

A Antonin de Margerié'.

Tu sais que j’ai eu ton frère, depuis Constantinople, comme compagnon de voyage, pour trop peu de temps, hélas ! puisqu’après quelques heures de halte, il vient, sur ce même bateau, de repartir pour la France.

Il te dira « en quel état de grâce » nous avons abordé l’Acropole, où nous nous sommes faits, du Pirée, amener directement sans entrer dans Athènes.

Il te dira notre montée au Parthénon, assis comme un lion sur son piédestal royal, fauve au soleil couchant, avançant les Propylées jusqu’au bord du roc comme des pattes gigantesques et recevant en pleine face la lumière dans ses entre-colonnes ouverts et vivants comme des yeux et des naseaux.

Il te dira que, de là-haut, nous avons eu de tout le paysage la même impression d’une ruine immense endormie dans la lumière. Les montagnes en amphithéâtre sont âpres et nues, leurs flancs sont ouverts du marbre que les siècles en ont tiré.