Nicolas est un incapable !... La bataille de Lodz, quelle folie, quel désastre !... Nos pertes : plus d’un million d’hommes !... Nous ne reprendrons jamais l’avantage sur les Allemands... Il faut songer à la paix.
J’objecte que les trois pays alliés sont obligés de poursuivre la guerre jusqu’à la défaite de l’Allemagne ; car ce n’est rien moins que leur indépendance et leur intégrité nationales qui sont en cause ; j’ajoute qu’une paix humiliante déchaînerait immanquablement la révolution en Russie, et quelle révolution ! Je conclus que j’ai d’ailleurs une confiance absolue dans la fidélité de l’Empereur à notre cause commune.
N... reprend, à voix basse, comme si quelqu’un pouvait nous entendre :
— Oh ! l’Empereur... l’Empereur...
Et il s’arrête. J’insiste :
— Que voulez-vous dire ? Achevez.
Il poursuit avec beaucoup de gêne, car il s’engage sur un terrain dangereux :
— Actuellement, l’Empereur est enragé contre l’Allemagne ; mais il comprendra bientôt qu’il mène la Russie à la ruine... On le lui fera comprendre... J’entends d’ici cette canaille de Raspoutine lui dire : « Ah ça ! Vas-tu faire couler longtemps encore le sang de ton peuple ? Tu ne vois donc pas que Dieu t’abandonne ?... » Ce jour-là, monsieur l’ambassadeur, la paix sera proche.
Je coupe alors l’entretien, d’un ton sec :
— Ce sont là des bavardages stupides... L’Empereur a juré sur l’Évangile et sur l’icône de Notre-Dame de Kazan qu’il ne signerait pas la paix tant qu’il y aurait un soldat ennemi sur le sol russe. Jamais vous ne me ferez croire qu’il puisse manquer à un pareil serment. N’oubliez pas que, le jour où il l’a prêté, ce serment, il a voulu que je fusse auprès de lui pour me rendre témoin et garant de ce qu’il jurait devant Dieu. Là-dessus, il sera toujours inébranlable. Plutôt que de trahir sa parole, il irait jusqu’à la mort...
Jeudi, 17 décembre 1914.
Le Grand-Duc Nicolas m’informe « avec douleur » qu’il est obligé d’arrêter ses opérations : il motive cette décision par les