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De son côté, M. Dubois a dit à M. Boyden : « En dépit de tout ce qui a été allégué, nous nous rendons ce témoignage que nos travaux ont été féconds dans la mesure où nous avons pu accomplir notre tâche en toute liberté et indépendance. » Il n’est pas possible d’indiquer plus clairement que la Commission des réparations a été tenue en bride par les Gouvernements et mise dans l’impossibilité de remplir convenablement les fonctions qui lui sont assignées par le Traité. M. Dubois, qui a vu de près tout ce qui s’est passé depuis près d’un an, sait comment la Commission a été peu à peu dessaisie de ses attributions, tantôt pour être dépossédée par des réunions d’experts alliés, tantôt pour être remplacée par les Gouvernements eux-mêmes. Après quoi, on s’est étonné qu’elle n’achevât pas plus rapidement une besogne qu’on s’obstinait à lui rendre impossible.

Quoi qu’il en soit, la voici désormais démembrée par le départ de M. Boyden. Cette retraite n’est pas un incident négligeable ; elle est un événement grave et symbolique. C’est l’Amérique qui se retire, jusqu’à nouvel ordre, des affaires européennes. Avant de passer la main à l’administration nouvelle, le gouvernement du président Wilson a tenu à faire place nette. Le président Harding se trouvera demain devant une table rase : pas de traité ratifié, pas de paix proclamée, pas d’engagements pris vis-à-vis de l’Europe. Il sera, pour l’avenir, entièrement maître de ses décisions.

Deux ans ont passé depuis que le président Wilson paraissait, du fond de son cabinet parisien, diriger l’opinion du monde. Les peuples l’accueillaient comme un prophète ; la France l’acclamait comme un sauveur ; les plus vieux États de l’Europe, aussi bien que les jeunes nations émancipées par la guerre, attendaient de lui les lois de leurs futures destinées. Bien des hommes se fussent enivrés de cet encens. Les adulations dont il était l’objet ne lui firent pas cependant perdre son équilibre. Il suivit avec une tranquille obstination la voie qu’il s’était tracée et, dans la préparation du Traité, il réussit à faire adopter ses idées essentielles. Ses parclusions n’étaient pas toujours d’accord, loin de là, avec l’intérêt français, qu’il connaissait mal. Il avait sur notre vieux continent et en particulier sur notre pays des conceptions a priori qu’il n’a pas eu le temps de modifier au contact des réalités et qu’on n’a pas toujours su redresser. Il a été pour beaucoup dans l’une des plus fâcheuses erreurs du Traité ; il n’a pas compris que donner aux gages territoriaux une durée inférieure à celle de la dette allemande, c’était mettre les Alliés à la merci de la mauvaise volonté du débiteur ; mais en revanche, il a réclamé avec insistance le désarmement