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Le duc de Nemours lui donna une promesse de mariage et prit en attendant un pain sur la fournée, d’où vint un fils. Pressé par cette aventure d’effectuer sa promesse, l’aventure même l’en dégoûta et il s’en alla en Piémont, où étaient lors les plus beaux faits d’armes ; mais, de retour, la demoiselle, désespérant de l’épouser de gré, lui intenta un procès. Il le tira en longueur, se défendit parce qu’elle était huguenote et lui catholique, et fit si bien qu’il ne fut point jugé de tout le règne d’Henri II. Les Guise, après, devenus les maîtres de plus en plus, et qui, pour les intérêts de leurs vastes vues, supportaient fort M. de Nemours à cause de M. de Savoie et qu’il était gendre d’Espagne, tirèrent encore l’affaire en longueur parce qu’elle ne valait rien et que le roi de Navarre, Antoine de Bourbon, protégeait sa cousine germaine. Mais après sa mort devant Rouen, 1562, M. de Nemours voulut se dépêtrer de cette fâcheuse affaire. M. de Guise ayant été assassiné par Poltrot devant Orléans, 18 février 1563, M. de Nemours eut encore plus d’empressement d’en sortir pour se trouver libre dans ses amours avec Mme  de Guise et elle avec lui, afin de se marier avec tant de grandeur, de si proches alliances royales pour M. de Nemours et d’accomplissement de désirs de tous les deux[1].

Ailleurs, le terrible Saint-Simon revient sur la malheureuse Françoise. Nommant son père et sa mère, René de Rohan et Isabelle d’Albret, il dit que de leur mariage sortirent « des fils qui ne parurent point et une fille qui ne parut que trop. » Quand celle-ci réclama à Nemours l’exécution de sa promesse, « le pauvre Nemours était bien embarrassé. Personne des intéressés ne faisait là un beau personnage. Mme  de Guise voulait enlever M. de Nemours à sa parole de haute lutte. M. de Nemours convenait de l’avoir donnée ; il n’osait y manquer, et pourtant ne la voulait point tenir. La bonne La Garnache (Françoise de Rohan) demeurait abusée, et, en attendant ce qui arriverait de son mariage, faisait de sa turpitude la principale pièce de son sac et toute la force des cris de ceux qui la protégeaient. La fin de tout cela fut qu’elle en fut pour sa honte et ses protecteurs pour leurs cris, et que M. de Nemours épousa Mme  de Guise en 1566. Mlle  La Garnache disparut et alla élever son poupon dans l’obscurité, où il vécut et mourut[2]. » Personne ne faisait là un beau personnage : la est la moralité de l’aventure, personne et surtout pas Nemours. Il y a bien des

  1. Saint-Simon, édition de Boislisle, tome V, appendice X.
  2. Saint-Simon, édition Chéruel, tome II.