Page:Revue des Deux Mondes - 1921 - tome 61.djvu/91

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Brissac, se débandent pour servir sous ses ordres. Deux ans plus tard, il est nommé colonel-général de la cavalerie légère. « Bref, dit l’éloge funèbre des archives de Turin, durant le règne du roi Henry (Henri II), luy estant en très bonne disposition, ne se fist voyage ni entreprinse de guerre en laquelle il ne se trouva le premier allé et le dernier revenu. »

Montluc, qui s’entendait en beaux faits d’armes, ne tarit pas sur les exploits de Nemours en Italie. Et quand Nemours écrit au Roi, c’est pour lui raconter une partie de plaisir à Turin. Et la chance veut que, dans les pires traverses, il ne soit jamais blessé.

On voit que ce prince de la mode était un rude soldat. Il était, par surcroît, un lettré : « bien disant, bien écrivant autant en rime qu’en prose, » déclare Brantôme, et d’après l’éloge de Turin[1] sachant les mathématiques et les sciences naturelles, la peinture, la sculpture et l’architecture, excellent musicien ; parlant le latin, le français, l’italien et l’espagnol, sachant « se faire comprendre non seulement avec l’épée, mais avec la parole. » Comment il écrivait, nous le verrons dans la suite, soit dans ses lettres d’amour, soit plutôt dans son testament. Ronsard le célèbre avec enthousiasme. Un sûr moyen de lui plaire et souvent même d’obtenir de lui des libéralités dont il était prodigue, était de mettre la conversation sur un sujet de littérature ou de fabrication d’armes. Sur sa gentillesse, son affabilité, son extraordinaire don de séduire, les témoignages abondent. Brantôme raconte comment, après la paix de Câteau-Cambrésis, il fit la conquête de son cousin Emmanuel-Philibert, après l’avoir combattu, sautant en croupe sur le cheval du duc de Savoie si adroitement que celui-ci ne s’en doutait qu’après, le cajolant et le divertissant, tant et si bien que celui-ci, plus tard, lui donnera le château de Moncalieri pour s’y retirer. Son confesseur lui attribue un trait charmant : il avait surpris, par la fente d’un rideau, un de ses domestiques lui dérobant une chaîne de 500 écus ; sur le moment, il ne dit rien ; le lendemain, pendant que ses autres valets du chambre

  1. Turin, Archives de Cour : Storia della Real Casa ; dossier Jacques de Nemours. Éloge de ce prince par son confesseur Christin, cité par Max Bruchet. (Entre parenthèses, les archives de Turin devaient être transmises à Chambéry pour la partie concernant la Savoie, d’après le traité de 1860 consacrant la réunion de la Savoie à la France : pourquoi cette clause du traité n’a-t-elle pas été exécutée ? )