Page:Revue des Deux Mondes - 1921 - tome 61.djvu/90

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

velours assorti à la nuance du vêtement. »[1] Tout cet or et tout cet argent, tout ce satin et tout ce velours nous feraient aujourd’hui l’effet d’une mascarade. Dans le même inventaire, on trouve un nombre considérable et luxueux de costumes de déguisement, montrant le goût qu’on avait alors pour ces accoutrements dont on se parait à toutes fêtes en mettant les masques de velours pour mieux intriguer.

L’inventaire de 1585, dressé après la mort de Jacques de Savoie, nous révèle mieux encore son élégance et son goût artistique. Les tapisseries, les meubles, les bustes, les médaillons, les peintures, les jeux, les équipements de chasse, les orgues dans la chapelle, faisaient du château d’Annecy un musée vivant. Et par-dessus toutes choses, Nemours, se souvenant de ses belles campagnes en Italie, en Allemagne, en France, aimait le luxe des armes et des chevaux. Dans cet inventaire sonne encore un fracas d’armures, aussi retentissant que les vers de Victor Hugo décrivant avec une virtuosité incomparable la salle où le vieil Eviradnus attend dans l’immobilité, en selle sur le mannequin d’un cheval. Cuirasses et écailles de fer, gorgerins de maille à l’allemande, corselets à la reître, grèves, genouillères, salades pour combattre à la barrière, bourguignottes et morions s’entassent en une masse d’acier où luisent les poignards et les dagues, les estocs, les cimeterres, les braquemards, les épées, épées à l’allemande ou colichemardes, épées à deux mains, épées rabattues, et les coutelas et les haches d’armes, le tout, dans sa description exacte, minutieuse et innombrable, à ravir d’aise Maurice Maindron qui fut, comme on sait, le plus grand armurier de la littérature.

Ces belles armes n’étaient pas qu’un luxe pour lui : il avait su s’en servir, depuis l’âge de quinze ans. Sous les ordres du duc de Guise, il avait brillamment défendu Metz bloqué par Charles-Quint (1552) et pris part à l’attaque du Renty (1554). Guise, content de lui, sûr de lui, lui donna la charge de colonel général de l’infanterie pendant la campagne d’Italie (1556) : Nemours n’avait que vingt-cinq ans. Il y fait merveille. Il emporte Valenza sur le Pô (janvier 1557) au pas de course avec ses gens de pied, et sa réputation est telle que les soldats des autres corps d’armée, et même ceux du fameux maréchal de

  1. Trois inventaires du château d’Annecy, par Max Bruchet.