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ce règlement si désirable, il faudrait avoir le courage de renoncer aux méthodes actuelles. Que les premiers ministres se rencontrent, de temps en temps, pour reprendre contact, pour se mieux connaître, pour mettre la dernière main à des accords préparés dans les chancelleries, rien de mieux : mais ces conférences, où l’on prétend changer la face du monde en trois jours, ont fait décidément assez de mal, depuis le commencement de l’an dernier, pour que le spectacle n’en soit pas plus longtemps imposé à l’admiration des foules. Y a-t-il rien de plus caractéristique, à cet égard, que l’incident qui s’est produit, dès la première séance tenue au quai d’Orsay par les Gouvernements alliés ? Le ministre des Finances français, fidèle à une thèse qu’il avait développée comme rapporteur général du budget au Sénat, a exposé aux autres délégués les droits de la France, tels qu’il les entendait et tels, d’ailleurs, qu’ils avaient été reconnus par le traité : réparation intégrale par l’Allemagne des dommages qu’elle nous a causés et remboursement par elle du montant de nos pensions militaires. Il a indiqué les sommes que représentaient, d’après lui, ces deux ordres de réclamations et il a demandé que la Conférence prît, comme point de départ de ses délibérations, les chiffres qu’il lui soumettait. Aussitôt M. Lloyd George a élevé une vive protestation. Le Gouvernement français rompait-il donc toute solidarité avec les Cabinets antérieurs ? Oubliait-il les engagements que la France avait pris à Boulogne ? Comment nos Alliés allaient-ils pouvoir dorénavant négocier avec nous, si nous changions d’attitude à chaque changement de ministère ? Cette amicale semonce a causé quelque surprise à M. Doumer. Il ne supposait pas, et pour cause, que nous eussions aliéné notre liberté à la conférence de Boulogne. Après cette réunion, notre Gouvernement avait cru lui-même, de très bonne foi, ne s’être engagé ni sur un système de paiement par l’Allemagne, ni à plus forte raison sur des chiffres. Tant à la Chambre qu’au Sénat, il avait déclaré que rien de définitif n’avait été arrêté. C’est même M. Doumer personnellement qui avait posé la question, avec insistance, devant l’assemblée du Luxembourg, et la réponse avait été tout à fait rassurante. Il y avait donc eu, à Boulogne, un grave malentendu. Français et Anglais s’étaient séparés en plein désaccord, tout en s’imaginant qu’ils étaient d’accord. Ceux-ci considéraient qu’on avait accepté, de part et d’autre, comme représentation de la dette allemande, un certain nombre d’annuités ; ceux-là étaient convaincus qu’on s’était borné à examiner des hypothèses ; et, comme tout s’était passé verbalement, comme il n’avait été dressé que des