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que le résumé de la grandeur et de la décadence de Rome. Dans la grande lutte de Rome au temps des guerres puniques. M. Wells est un des rares historiens qui prennent le parti de Carthage : il est naturellement pour le peuple marin contre le peuple militaire. Le préjugé de Gibbon, l’horreur du Vatican, il l’étend rétrospectivement à l’Empire, à la République, et à tous les gouvernements qui leur ont servi de modèles. Dans l’Empire romain, il poursuit tous les impérialismes. Il rabaisse à plaisir l’orgueil de ces maîtres du monde. Qu’est-ce que l’empire de Trajan, au temps de sa plus grande étendue, comparé à celui d’un Tamerlan ou des Empereurs Mongols ? Qu’est-ce que la paix romaine au prix du bonheur véritable et de l’organisation parfaite dont la Chine offre le modèle ? Il n’y a pas de raillerie dont M. Wells ne s’amuse à déshonorer les choses les plus précieuses de la tradition de l’Occident. Le public athénien n’est pour lui qu’une foule « toute pareille à celle du promenoir de nos cafés-concerts. » Mais c’est surtout contre les grands hommes, dont l’imagination humaine a fait des demi-dieux, que l’écrivain dirige sa satire. L’histoire, pour un Voltaire, c’était, au milieu d’un chaos de crimes et de folies, un archipel d’époques heureuses, les « siècles » de Périclès, d’Auguste, de Louis XIV. M. Wells s’acharne contre ces grandes images avec férocité. Il démolit les statues, les souvenirs décoratifs qui ornent le passé, avec une joie d’iconoclaste. Son livre est un carnage d’idoles.

Ses bêtes noires, bien entendu, seront les figures les plus fameuses : Alexandre, César, Napoléon. Il en fait de longs portraits qu’il faudrait appeler de véritables « exécutions. » Il ne traite pas moins durement les sous-Césars, reflets et copies du premier, contrefaçons qui n’auraient jamais existé sans l’original : Charlemagne un agité, un charlatan « dans le genre de Guillaume II ; » et Charles-Quint, pauvre fantoche de la dernière médiocrité, créature de la banque Fugger, dégénéré sur lequel un baroque destin se plut à accumuler l’Europe et l’Amérique. Mais c’est contre Napoléon que s’exerce la verve de l’historien avec le plus d’humour. Il nous apprend que sa mère le fessait encore à seize ans. Il lui reproche sa fuite grotesque, sa « désertion » d’Egypte ; rien de plus surfait que ce prétendu surhomme : ses talents militaires étaient fort ordinaires, et comme capitaine, il est bien loin de valoir Moreau ; comme politique, il est fort au-dessous de Marat (lequel paraît être, on ne sait pourquoi, aux yeux de M. Wells la meilleure tête de la Révolution). Tout ce que la caricature du Punch, tout ce que la facétie de Gillray