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croit davantage à la vertu du livre, au pouvoir révolutionnaire de la lettre imprimée, à la dictature de la raison. Il a sur cet article la foi d’un Encyclopédiste. Et c’est ainsi que, pendant la guerre, alors qu’on le croyait occupé à l’histoire de la famille Britling, il était en train d’embrasser l’évolution de la planète. Dans Londres que survolaient les Zeppelins et les Gothas, au tonnerre des tirs de barrage et de l’éclatement des bombes, pendant que les deux moitiés de l’univers s’entretuaient, que les trônes chancelaient, que les Empires croulaient, le grand visionnaire écrivait fiévreusement son Esquisse de l’Histoire universelle.

Sans doute, cette idée a de quoi faire sourire, par ce temps de scrupules critiques où l’audace d’une Histoire de France à la Michelet passerait déjà pour une présomption. L’ancien commis de magasin, devenu homme de lettres à force d’énergie, conserve l’intrépidité de l’autodidacte et du primaire. Disons le mot : M. Wells ne rougirait pas du nom de vulgarisateur. Le voilà donc à l’œuvre dans sa bibliothèque, au milieu de ses manuels et de ses dictionnaires, consultant tour à tour tout un « jeu » d’encyclopédies. Autour de lui, toute une équipe d’auxiliaires et d’amis, historiens, professeurs, voyageurs de l’Inde et de la Chine, attachés aux diverses sections du British Muséum, le plus vaste répertoire des connaissances humaines qu’il y ait eu au monde depuis Alexandrie. Peut-être, si l’on y songe, ce savoir à coups de Larousse est-il, dans le détail, assez superficiel : c’est de la science à la vapeur, de l’information pour magazines. Mais ne chicanons pas M. Wells sur sa méthode. Il ne cache point que ses matériaux ne lui appartiennent pas. Sachons-lui gré de ce qu’il nous donne et qui est bien à lui : l’essai qu’il tente pour apporter un ordre dans les faits, et pour nous faire apercevoir un plan dans les affaires humaines.

Il est clair en effet qu’un ouvrage de ce genre ne s’expliquerait pas sans une philosophie. On ne se donne pas la peine d’écrire l’histoire universelle pour le simple plaisir de raconter une belle histoire : c’est qu’on veut prouver quelque chose. On part d’une hypothèse, dont il s’agit de trouver la vérification dans les faits. Pour Bossuet, cette idée centrale est celle de la Providence, pour Voltaire celle du Progrès. Pour M. Wells, c’est l’idée d’Évolution. On peut même dire qu’il s’y prend de haut : il commence dès avant la formation du monde, au sein de l’abîme effroyable de l’espace et du temps, lorsque la goutte de feu qui devait être notre terre se détache, — il y a un nombre incalculable de millions de siècles, — de la grande nébuleuse solaire. Peut-être