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— Des idiots de bonne maison.

— Mon Dieu, non. La turlutaine de notre temps, c’est la réhabilitation de la femme perdue… déchue, comme on dit : nos poètes, nos romanciers, nos dramaturges remplissent les jeunes têtes d’idées fiévreuses de rédemption par l’amour, de virginité de l’âme, et autres paradoxes de philosophie transcendante… que ces demoiselles exploitent habilement pour devenir dames, et grandes dames.

Pour ces « filles » ainsi mariées, Augier ne demande rien moins que la peine de mort, quoi qu’en dise le Code pénal :

— Je me moquerais bien du Code pénal en pareille circonstance ! Si vos lois ont une lacune par où la honte puisse impunément s’introduire dans les maisons, s’il est permis à une fille perdue de voler l’honneur de toute une famille sur le dos d’un jeune homme ivre, c’est le devoir du père, sinon son droit, d’arracher son nom au voleur, fût-il collé à sa peau, comme la tunique de Nessus.

Nous avons dit déjà que le marquis de Puygiron, qui s’exprime ainsi au premier acte, applique ses théories aux dépens de celle qu’a épousée son neveu.

La pièce est tombée brutalement en 1855 et les reprises de 1863, 1881 et 1895 n’ont pas réussi. Augier était trop loyal pour ne pas reconnaître ses torts. Il écrivit à un journal :

« Je me range complètement à l’avis de la presse et du public… J’ai senti, comme la salle, que la pièce laisse une impression pénible… La première condition de notre art est de s’emparer de l’auditoire, c’est la seule à laquelle on ne manque pas impunément. J’y ai manqué, je ne réclame rien[1]. »

Si l’auditoire ne s’est pas laissé conquérir, c’est qu’il n’a trouvé aucun personnage à qui s’attacher, c’est qu’une implacable monotonie plane sur ses trois actes ; c’est, surtout, que l’héroïne, Olympe Taverny, est un monstre d’une déconcertante uniformité. Elle est vite d’un bout à l’autre, vite au premier acte par son passé et par ses mensonges, vite jusqu’à l’invraisemblance au deuxième et vite au troisième acte jusqu’à l’absurde. Le monstre, qui est un monstre et rien de plus, et rien autre, n’inspire même pas la curiosité. D’ailleurs, Olympe est si complètement monstrueuse qu’on n’y croit pas. On doute de son existence. Et en effet, sur dix mille femmes galantes, on n’en

  1. Cité par M. Gaillard de Champris dans son excellente et copieuse étude sur Emile Augier.