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terai que la simplicité, la raison et le tact sont seuls capables des œuvres durables et je m’abriterai, s’il le faut, derrière la forte parole de Charles Renouvier plaidant pour la littérature aride :

« J’aurais mauvaise grâce, dit-il, à vouloir déprécier des dons de l’esprit dont on ne me trouvera que médiocrement doué. Cependant, je me rends ce témoignage que l’étude, le travail, puis l’effort pour m’entendre moi-même, et me faire entendre, m’ont précisément conduit à laisser s’oblitérer (mais est-ce bien le mot ?), à régler sévèrement ce que la nature pouvait m’avoir départi d’imagination. Il faut que chaque chose soit à sa place : la poésie avec la jeunesse, avec l’âge mûr la raison. Mais, il y a pour tout âge, et la vérité porte en elle une autre poésie que ne connaissent pas ces poètes qui veulent toujours être jeunes et qui ne sont quelquefois que de vieux enfants. L’humanité ainsi, en suivant son cours, passe lentement et péniblement des temps de la poésie aux temps de la raison et les nations restées les plus jeunes ne sont pas, je crois, les meilleures. Quand on accuse le monde de devenir prosaïque, on le flatte sans le vouloir : on ne voit pas qu’alors même il s’élève à la poésie virile. »

Cette poésie virile, cette vérité virile, cette histoire virile, ce furent celles que se proposaient les méthodes de l’École des Chartes ; c’était le plan sur lequel s’avançaient d’un pas ferme les Quicherat, les Léopold Delisle, les Gaston Paris. À mon sens, ces hommes écrivaient fort bien parce qu’ils pensaient juste et quand ils se sont élevés jusqu’aux grands sujets, ils ont été des historiens. Ainsi l’École n’a pas eu à faire craquer ses cadres ; elle n’a pas outrepassé sa loi.

Après cent ans, elle peut se rendre cette justice qu’elle a formé de bons Français qui ont bien travaillé pour la France. Ne doit-elle pas s’enorgueillir de les avoir vus partout à leur devoir et dignes d’elle ? Pendant la Grande Guerre, malgré le recrutement si restreint de l’École, cinquante-deux de ces braves enfants sont « morts pour la France. »

Gabriel Hanotaux.