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Et à tous :

O race des heureux, phalange impénétrable
Qui rendez le retour impossible au coupable,
Faisant au repentir un si rude chemin
Qu’on ne peut y marcher avec un pied humain,
Vous répondrez à Dieu des âmes fourvoyées
Que vos rigueurs auront au vice renvoyées !

C’est dans cette forme que l’Aventurière a été jouée et publiée en 1848, en pleine révolution.

Le public d’alors vivait dans de telles angoisses qu’il lui fut impossible d’approuver et même seulement d’entrevoir la thèse présentée par l’auteur. Il ne vit là qu’une comédie d’intrigue, amusante, émouvante parfois, mais ne se douta pas qu’Émile Augier avait eu l’intention de défendre la famille contre la courtisane. Le public d’aujourd’hui va plus loin ; s’il ne prend pas nettement parti pour Clorinde, il est tout au moins troublé ; il se plaît à l’applaudir ; il se retient pour ne pas voir en elle le personnage sympathique de la pièce, et l’on a pu constater qu’il serait excusable de s’y tromper. Le spectateur est surtout déconcerté par ce que peut avoir de gênant la situation de ce père ballotté sur le flot des mensonges de son fils, jouet de ses intrigues, bienfaisantes sans doute, mais qui, tout de même, lui déchirent le cœur et lui mettent devant tous la rougeur de la honte au front.

Augier dut le pressentir par la surprise que lui causa certainement le public, qui refusa de le suivre. Il dut se rendre compte bien vite, que, dans sa jeunesse, dans sa générosité, dans son inexpérience (d’après le journal d’Edmond Got, il était âgé de vingt-cinq ans lorsqu’il écrivit la pièce), il avait fait la part trop belle à ce qu’il voulait combattre. Il en éprouva sans doute quelque dépit, dépit que dut accroître la situation de plus en plus prépondérante prise par la courtisane dans la société, et encore plus le succès de la Dame aux Camélias.

Alors, il retroussa ses manches, reprit son sujet, se jurant bien que cette fois nulle sympathie ne pourrait s’égarer sur la courtisane qu’il allait mettre à la scène, et il écrivit le Mariage d’Olympe. Mais, après s’être trompé une fois par trop d’indulgence, il se trompera de nouveau, par excès de sévérité. Tel le tireur qui veut rectifier son tir, et manque encore le but, mais de l’autre côté.