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d’anéantissement. Son histoire de même est liée symboliquement à la courbe des cinquante années de l’hégémonie prussienne, puisqu’un attentat socialiste ne put la faire disparaître et rendit simplement manifeste le peu de puissance des masses dans l’Empire bismarkien. A voir cette image d’une certaine Allemagne qui reste campée sur la rive droite du fleuve, le passant se prend à souhaiter quelque autre figure qui incarne une autre conception d’un peuple opposé.

Quelle figure et quel symbole ? Sous quels traits après tant d’analyses pourrions-nous personnifier ce que nous avons compris que la France veut et peut ?

Pour incarner l’action de la France, nous savons que la Marseillaise est le symbole par excellence, et ce n’est pas à Strasbourg que je l’oublierais. Mais en face de la Germania robuste, pesante, stable, du Niederwald, c’est peut-être une image moins agitée de la France qu’il faudrait ériger pour rappeler aux Rhénans notre signification. Et cette image que j’entrevois ne prendrait-elle pas, par la force même des choses, le meilleur des traits de Jeanne d’Arc ?

Jeanne d’Arc, que le Parlement à l’unanimité vient de proclamer patronne de la France, en décidant que sa pure mémoire serait célébrée chaque année dans une journée, complémentaire de celle qui commémore la prise de la Bastille, Jeanne d’Arc appartient à nos Marches de l’Est par sa naissance et son génie. Tandis que les Prussiens ont dressé la Germania comme un signe de leur volonté de colonisation avide et brutale, elle se propose comme un signe de l’apostolat français et de la force rayonnante qu’il y eut toujours dans notre nation. Tout en elle doit plaire aux meilleurs des Rhénans, tels que nous venons de les reconnaître, développant au contact de la France du dix-neuvième siècle leurs facultés imaginatives, leurs émotions charitables et leurs aptitudes au travail.

Nous avons vu leurs imaginations sensibles surtout aux belles légendes qui célèbrent des hauts faits de civilisation, aux bons esprits qui favorisent la liberté, la justice, le progrès et l’ordre. Or Jeanne d’Arc, toute environnée de prestige, ne fait de miracles que salutaires. Sa vaillance joyeuse n’admet pas que le secours surnaturel la dispense de l’œuvre quotidienne. Elle a pour proverbe favori : « Ayde-toi, le ciel t’aydera. » Tout son village croit aux fées, à la mandragore, au