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Cette tâche après tout ne serait, sous une forme que le sort des traités rend différente, que la reprise de la mission rhénane que nous avons vu la France remplir si heureusement dans le passé. Entre un Victor Hugo débrouillant le fouillis de la légende rhénane et y discernant le culte des héros bienfaisants, entre un Lezay-Marnesia préconisant qu’on encourage la responsabilité des pouvoirs locaux, entre un Jecker associant autour de lui des artisans et des ouvriers de la Roër, entre des sœurs de Saint-Charles réchauffant la bonne volonté charitable des dames de Trêves, entre un évêque Colmar groupant les jeunes Rhénans dans son séminaire de Mayence, la différence est bien moins grande qu’on ne pourrait croire. Ce sont tous là des représentants d’une culture qui n’est ni mécanisée, ni automatique, d’un sens direct des valeurs humaines, d’un culte discret de l’autonomie individuelle : tout l’opposé de ce que le prussianisme incarne dans la raideur de ses fonctionnaires, pour ne rien dire de la brutalité de ses soldats. Et c’est dans une opposition entre le germanisme prussien, avec son idéal agressif, et les meilleures qualités de notre race, que nous sentons bien que le drame se joue dans tous ces pays qui descendent vers le Rhin.

Messieurs, à ce point de notre cours et quand il va s’achever, me permettrez-vous de synthétiser par une image saisissante et simple l’esprit même de nos analyses ? Le germanisme prussien et son idéal agressif ont prétendu se symboliser après 1871 dans la fameuse statue de la Germania du Niederwald, qui se dresse toujours sur le Rhin, à l’entrée des défilés de Bingen. Elle y fut érigée comme un signe de domination, et maintenant elle y demeure comme un ornement de notre victoire. Nulle clause du Traité de Versailles n’a prescrit de l’abolir, et nous avons raison de la respecter, car il ne s’agit pas ici d’anéantir par la force une idée, et, pour refouler du sol rhénan la pensée prussienne, nous ne voulons que mieux penser que les Prussiens ; mais il est impossible que le voyageur qui passe à ses pieds, le long du fleuve et dans le Rheingau, ne soit pas impressionné par cette figure colossale des ambitions de Berlin, et qu’il n’en fasse pas l’objet de sa méditation. Pesante, massive, casquée brandissant le glaive, entourée des attributs de proie de l’Empire, elle est bien la Germanie à l’épée aiguisée qui devait imposer au monde une paix de terreur et une guerre