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regrettent leur éviction, et ils préfèrent naturellement rester muets.

Sur le même ton, M. Briand plaide ensuite pro domo. On lui a reproché son passé. M. Forgeot lui a demandé si quelques discours révolutionnaires d’autrefois ne le gêneront pas un peu dans le maintien de l’ordre. Il pourrait répondre que, dans tous les pays du monde, les anciens révolutionnaires sont les enfants chéris des classes conservatrices. La sagesse continue ennuie. Elle inquiète interne l’opinion; comme tous les hommes varient, celui qui n’a pas cessé d’être sage passe pour plus exposé que les autres à devenir fou. Celui qui, au contraire, a commencé par la folie et qui s’est assagi, a des chances d’avoir une sagesse plus durable, puisqu’elle est plus fraîche. Et puis, quelle confiance pouvez-vous avoir en quelqu’un, s’il a toujours suivi une ligne droite? Les sentiers de la politique sont sinueux, et quiconque ne les a pas fréquentés risque d’aller, un beau jour, se briser la tête contre un arbre. M. Briand ne donne pas tout à fait cette explication. Il parle de sa jeunesse, de ses enthousiasmes, et il ajoute : « Je me suis trouvé six fois à la tête du Gouvernement. Si certains angles ne s’étaient pas arrondis en moi, je serais un piètre sire. Je suis comme ces frustes cailloux qui longtemps ont roulé dans le fond du torrent. » Comment voulez-vous qu’il se trouve encore un député pour jeter une pierre dans cette eau courante?

Le public ainsi préparé et subjugué par sa bonne grâce, l’orateur aborde les grandes questions de la politique intérieure et extérieure. Dans la tempête universelle, c’est la France qui apparaît comme le rocher, comme l’élément d’ordre. Le Gouvernement veillera, bien entendu, à ce que les flots ne viennent pas miner cette falaise. Mais, d’autre part, il fera confiance aux travailleurs et n’entreprendra rien contre les organisations ouvrières. Le procès de la Confédération Générale du travail a été jugé, il n’y a donc plus à en parler; mais l’État a besoin de tous ses moyens d’action, notamment de la régularité de ses services publics, et il n’admettra pas que des citoyens auxquels il a fait confiance retournent contre lui la force morale qu’il leur a donnée. Et, comme un socialiste interrompt, M. Briand lui jette cette éloquente apostrophe : «Oui, nous ne serons jamais à vos yeux que des bourgeois. Mais vous-mêmes, prenez garde! Vous avez déjà pâli au soleil rouge de la Russie ! » Aussitôt, les applaudissements crépitent à gauche, au centre et à droite, et il devient superflu d’échanger plus longtemps des observations sur la politique intérieure. A la réflexion, un esprit maussade se demandera peut-être si,