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M. Briand ne s’y est certainement livré qu’à son corps défendant. Il a été, paraît-il, en butte à un furieux assaut d’appétits déchaînés. Il a voulu employer la tactique qui avait si bien réussi, le 15 juillet 1918, à l’armée Gouraud : rompre, pour arrêter l’offensive sur des lignes préparées à l’arrière. Mais, en politique, le terrain perdu ne se regagne jamais aisément. Quoi qu’il en soit, son cabinet constituent fortifié, du reste, par la présence de plusieurs ministres de grand mérite, M. Briand s’est immédiatement mis à l’œuvre et s’est entendu avec ses collègues pour la rédaction, qu’il jugeait, semble-t-il, assez oiseuse, d’une déclaration inaugurale.

Il n’y a guère que deux méthodes à suivre pour composer un de ces morceaux de rhétorique dont l’usage fait une obligation aux ministères nouveau-nés. Ou bien le Président du Conseil confère avec ses collègues, puis s’enferme pendant une heure ou deux dans son cabinet pour synthétiser, dans un raccourci plus ou moins puissant, le programme gouvernemental. Ou bien il demande à chacun des ministres une note sur les projets de son département spécial, et il relie ensuite ces documents épars à l’aide d’un fil qu’il sort de son propre tiroir. Sans doute un peu fatigué par les démarches des jours précédents, M. Briand a préféré la seconde manière. La première, d’ailleurs, n’eût été ni dans ses habitudes ni dans ses goûts. Lorsqu’il a été reçu à l’Académie française, Berryer a modestement déclaré qu’il ne savait ni lire, ni écrire : ce qui, dans sa pensée, signifiait, du reste, évidemment que les académiciens ne savent pas parler. M. Briand est, lui aussi, un grand magicien de la parole; mais il est toujours un peu embarrassé, lorsqu’on le prie de prendre une plume ou de faire une lecture. Non pas certes qu’il soit incapable de réussir dans l’un ou l’autre effort, quand il se donne la peine de le vouloir. Mais à quoi bon? Il sait bien qu’aujourd’hui les écrits s’envolent aussi vite que les discours et que, du moins, l’envolée d’un beau discours, devant un auditoire émerveillé, est une incomparable jouissance pour l’orateur.

La Chambre, qui ne connaissait pas encore beaucoup M. Briand et qui ne l’avait guère entendu que dans de longues interruptions, parfois inopportunes, l’a donc vu, en deux jours, sous trois aspects très différents : celui d’un rédacteur insouciant, celui d’un lecteur las et détaché, celui d’un orateur prestigieux, qui se transfigure à la tribune, qui parle, à la fois, le langage le plus simple et le plus pittoresque, qui tire d’une voix profonde des effets extraordinaires, qui a, comme Jaurès le disait de lui, des pauses et des silences aussi éloquents que les plus