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que jamais. Ne dites pas qu’il y avait, jadis comme à présent, nombre de filles qui ne trouvaient pas de mari, et qu’elles se tiraient d’affaire. D’abord, Mme Colette Yver vous répondra qu’elles entraient jadis, pour la plupart, au couvent. Puis on vivait plus commodément, jadis : cela, c’est un fait.

Et concluons. Sans doute l’éducation des filles les doit préparer au mariage. « Mais il y a encore à préparer les filles au célibat possible. Dans toute fille, il faut voir la femme seule qu’elle sera peut-être un jour, puisqu’il n’est pas permis de dire à coup sûr qu’elle se mariera. Dès lors, elle doit pouvoir disposer des mêmes ressources personnelles qu’un garçon qui devra se suffire à lui-même. C’est un préjugé de cultiver la timidité naturelle de la femme, d’augmenter sa faiblesse, de lui apprendre à ne vivre que sur la volonté des autres. Vieille fille ou veuve, elle aura grand besoin de vouloir personnellement, de connaître sa force, d’oser. À chaque instant, la femme seule a des initiatives à prendre, des choix à faire, des jugements à exercer. Que deviendra-t-elle, si on ne lui a enseigné qu’à obéir ? La première arme à mettre dans les mains d’un être appelé à se débattre dans la vie, c’est la volonté. » Mme Colette Yver, qui, dans son premier chapitre, n’était pas du tout féministe, ne tourne-t-elle pas à l’être ?

Nous y tournons comme elle. Et nous n’avons plus envie de plaisanter. C’est qu’il ne s’agit plus de Sidonie. Cette folle, et si attrayante, ne méritait aucune compassion. Nous l’aurions aimée, en dépit de ses turlutaines, mais non plainte, malgré ses ennuis. Une Sidonie se donne du chagrin : c’est affaire à elle. Les jeunes et vieilles filles auxquelles nous invite à penser le deuxième chapitre de Mme Colette Yver, leur infortune et les difficultés qu’elles ont à résoudre ne sont pas, comme les ennuis de Sidonie, un défi à la destinée, mais bien les fautes de la destinée à leur égard. S’il est vrai que l’ancienne éducation ne les arme pas contre la dure vie nouvelle, modifiez l’ancienne éducation.

Comment la modifier ? « Donnez à votre fille des ressources pratiques. Mettez-la en mesure de gagner sa vie. Instruisez-la. — Comme on instruit un garçon ? — Pourquoi pas ? — Mais parce que vous allez en faire une Cerveline !… » Mme Colette Yver a prévu cette objection. Les Cervelines sont, à leur façon, des précieuses : et les précieuses peuvent être ridicules ; mais une femme intelligente et instruite n’est pas nécessairement une pédante, et infatuée.

Il y a eu des Précieuses, vers le temps où la société française