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pour des idées généralement fausses. Elle a grand’peine à garder juste l’idée qui l’a émue. Mme Colette Yver continue : « De même que la marche de l’évolution démocratique, au lieu de s’accomplir selon les lois établies dans la paix par des esprits exempts de passion, ne se fait en réalité que contre le capital et contre le patronat et contre la bourgeoisie, de même le développement féminin s’est entrepris contre l’homme. On dirait que tous les ferments sociaux sont à base de haine. » N’en doutez pas. Et la haine la plus sotte est l’un des moyens que les multitudes emploient pour rendre une idée absurde avant de la trouver charmante et de l’adopter.

Le fameux professeur dont Sidonie était l’interne adorait Sidonie et la demandait en mariage. Et Sidonie aimait probablement le professeur ; mais elle ne se donnait pas à lui, parce qu’elle aurait ainsi perdu, mon Dieu, sa personnalité : la puissante lumière d’un fameux professeur eût offusqué la petite flamme de Sidonie. Insupportable Sidonie, avec la petite flamme dont elle est si vaniteuse ! Qu’est-ce que Sidonie ? « Une intellectuelle enivrée de sa valeur, passant le temps à l’estimer, à la regarder au miroir, comme une coquette sa figure, ni plus ni moins ! » Mme Colette Yver la définit ainsi et, pour l’avoir comparée à une coquette, nous la rend aimable.

À quelque temps de là, Mme Colette Yver retrouve Sidonie. Elle lui dit : « En somme, le féminisme est le fruit de l’orgueil de la femme ? — Non, il est le produit de l’égoïsme de l’homme ! » Et Sidonie se lance à déblatérer contre l’égoïsme de l’homme. Elle ne persuade pas son interlocutrice.

Le fameux professeur n’épousa point Sidonie. Et, faute d’épouser Sidonie, au bout de quelque temps, il épousa une autre jeune fille. Et Sidonie en a beaucoup de chagrin ; mais elle dit : « Véritablement, je n’aurais plus été moi-même ! » Et c’est presque joli, parce que Sidonie est jolie. Autrement, non.

Mais ce qui est charmant, c’est ce que dit à Mme Colette Yver une amie de Sidonie et sa confidente : « Cet homme aujourd’hui est marié. Oui, avec une autre ! C’est indigne, n’est-ce pas ? Après avoir juré qu’il se mourait pour Sidonie ! Ils sont tous les mêmes ! » Et voilà l’égoïste masculin, contre lequel proteste le féminisme. Ah ! que le féminisme est amusant, pour peu qu’il reste ainsi admirablement femme, délicieusement femme !…

À Bologne, autrefois, une fille très savante, et savante à un tel point qu’on l’avait chargée de faire un cours à l’université, cette fille savante était si belle qu’elle devait se voiler le visage afin que les