Page:Revue des Deux Mondes - 1921 - tome 61.djvu/655

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

bonté, ni la pitié, ni le dévouement, que Sidonie dénigre : c’est l’amour. L’amour, mademoiselle ? Précisément ! répond Sidonie ; l’amour est un des meilleurs exemples de la servitude où conduit la sensibilité déréglée. » Enfin, Sidonie veut avant tout préserver son indépendance ; elle craint la servitude et craint l’amour comme une servitude. C’est à peu près la même chose, de craindre l’amour et d’être amoureuse : tu ne me craindrais pas, si tu ne m’avais trouvé !… Vous voyez bien que Sidonie est capable de sensibilité.

Mais il y a, en elle, deux femmes, l’une sensible, et l’autre volontaire. Ces deux femmes ne s’entendent pas, s’entendent si mal que la volontaire a juré de tuer la sensible. Voilà comme Sidonie sera digne d’intérêt.

Sidonie ne refuse pas à toutes ses contemporaines le droit d’aimer. Elle admet qu’en certains cas une femme peut aimer « sans se diminuer, sans être asservie. » Parfois même, une femme « se limiterait » en n’aimant pas. Souvent, et plus souvent, une femme « se doit à elle-même, ou doit à sa dignité, à son développement intégral, d’immoler un amour destiné simplement à atrophier sa personnalité. » Mme Colette Yver engage Sidonie à considérer que l’amour embrouille, par bonheur, ces calculs, cette mathématique de la personnalité qu’on pèse, qu’on mesure. Une femme, réplique Sidonie, doit échapper à l’asservissement que l’homme prétend lui imposer.

Je dirais à Sidonie : — Ma petite, une personnalité qui a tant de peine à se défendre, et qui se montre si alarmée, n’est pas une personnalité très forte ; sa peur avoue sa faiblesse. Une personnalité très forte, et qui voudrait tant de sacrifices, n’a pas tant de sacrifices à consentir : elle s’impose. Craignez surtout que vos renoncements ne soient au profit de ce qui peut-être ne les vaut pas, ma petite aux yeux châtains et au mélancolique sourire un peu prétentieux et presque naïvement !…

Les propos de Sidonie ont averti Mme Colette Yver. Voilà, songe-t-elle, le féminisme : « c’est moins une doctrine qu’une révolte. » Le féminisme serait beau, aimable et digne d’encouragement, s’il travaillait avec sérénité « à l’épanouissement de la femme, à sa protection, à sa culture. » Hélas ! « l’humanité, qui a tant de peine à s’émouvoir pour une idée, ne se met en branle que si on la lance contre quelque chose ! » Eh ! non, l’humanité n’a pas de peine à s’émouvoir pour une idée : à moins que Mme Colette Yver n’entende par « une idée » une idée juste. Mais l’humanité passe son temps à s’émouvoir