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REVUE LITTÉRAIRE

QU’EST-CE QUE LE FÉMINISME ?[1]

Premièrement qu’est-ce que le bon sens ? Une fois défini le bon sens, et en termes dignes de lui, en termes dignes de le recommander à l’amitié des honnêtes gens, le féminisme et aussi toutes les doctrines les moins raisonnables, qui plaisent par leur déraison, perdent leur attrait principal. Ce n’est pas à dire, — et à le dire si promptement, — que le féminisme ne soit que toquade. Une telle réfutation ne vaut rien, ne prouve rien, ne prouve que la mauvaise humeur de qui l’aura ainsi bâclée. Puis, comme il s’agit des femmes, la courtoisie est de rigueur. Et, comme il s’agit de problèmes qui, en fin de compte, résument beaucoup de souffrance, on aurait tort de les éliminer sans fine précaution. Mais il est vrai que les doctrines doivent généralement leur succès le plus vif à ce qu’elles contiennent de moins judicieux. Si l’on examine avec simplicité l’histoire des idées l’on aperçoit, peut-être avec chagrin, que les idées les plus folles ont une puissance de propagation qui manque aux idées les plus sages. Une idée bien exactement juste a quelque chose de tranquille et de réservé qui n’excite pas l’enthousiasme des multitudes. Presque toujours, avant d’adopter une idée, les multitudes l’ont transformée à leur guise plus romanesque ou furieuse. C’est la tristesse que donne la lecture de l’histoire : on y voit l’humanité de tous les temps occupée à faire des contre-sens et à s’éprendre, non des idées, mais de leurs plus étranges caricatures. Aussi convient-il d’imposer aux doctrines, quand elles deviennent

  1. Dans le jardin du féminisme, par Colette Yver (Cnlmann-Lévy). Du même auteur, Les Cervelines (Juven) ; Comment s’en vont les reines, Princesses de science, les Dames du Palais, etc. (Calmann-Lévy).