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pas encore dévoilés aux modernes successeurs du dit. Aussi me suis-je hâté de cueillir cette petite part de vérité et de beauté que recèle, en ses plis mouvants, un voyage aux confins de la vieille Europe, de ce tout petit mais si captivant arrondissement de notre département solaire, de notre province galactique.

« Il ne faut point mettre son cheval au galop avant de l’avoir d’abord fait trotter, » dit une maxime arabe. Les Orientaux appliquent beaucoup cette maxime aux choses de l’amour, où elle est d’une vérité savoureuse. Je pense qu’elle n’est pas moins vraie lorsqu’il s’agit des voyages. C’est pourquoi, avant de courir au but même de ma mission, et afin de graduer les sensations qui de France devaient m’amener dans la Grande Roumanie pétrie par la guerre, j’ai tenu, malgré les difficultés et incommodités matérielles du projet, à m’arrêter d’abord en Allemagne, en Autriche, en Hongrie.

Est-ce à cause du plus grand des peintres ornemanistes, le soleil ? — qui sans arrêt répandait dans ces beaux jours d’octobre 1920 la palette joyeuse et dorée de ses rayons, — mais la Bavière d’après-guerre m’a donné une impression très vive de richesse, d’opulence même. Ses grasses campagnes regorgent d’un bétail pantagruélique ; les paysans y travaillent ferme, avec cette lente assiduité des Germains, et seul le béret militaire à bande rouge dont beaucoup se coiffent, rappelle qu’il y a eu la guerre. Les villages, avec toutes leurs maisons fraîchement blanchies, leurs toits écarlates, leurs étranges petits clochers blancs coiffés d’un gros oignon qui leur donne je ne sais quoi de la mosquée, tout cela a un air de prospérité. Munich, sous le soleil complice, donne une sensation d’ordre, de force contenue mais mal dissimulée, de bien-être. Lorsque j’y passai, la population venait d’être conviée à livrer ses armes ; je vis bien quelques éphèbes, — une douzaine tout au plus dans une journée, — traverser les vastes avenues bien propres, avec sur l’épaule quelque fusil à magasin, mais je ne jurerais point que cette douzaine d’hommes obéissant à la loi ne se réduisaient point à un-seul rencontré à diverses heures, tant ils se ressemblaient.

Par là peut-être, Munich s’apparentait en somme, encore plus que par son étrange symbiose du style médiéval et du grec, avec ces séduisants décors d’opéra-comique, où l’on voit