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envoyée de Buenos-Ayres au couvent de l’Assomption. Fanny ne connaissait personne à Paris : Mme Olenska s’est occupée d’elle, l’a promenée les jours de congé. Je crois que Mme Olenska a été très liée avec la première Mrs Beaufort, — et puis elle est notre cousine. Aussi, je l’ai appelée au téléphone ce matin avant de sortir, et lui ai dit que nous étions ici pour deux jours, et désirions la voir.

— Tu lui as dit que j’étais ici ? balbutia Archer.

— Bien sûr : pourquoi pas ?

Dallas eut un sourire innocent. Puis, ne recevant pas de réponse, il glissa son bras sous celui de son père.

— Dites, père, comment était-elle ?

Archer se sentit rougir sous le clair regard de son fils.

— Allons, avouez, vous avez été très emballé pour elle, est-ce vrai ? N’était-elle pas ravissante ?

— Ravissante ? Je ne sais pas. Elle était différente des autres.

— Ah ! nous y voilà ! Toute la question est là, n’est-ce pas ? Quand on la trouve, la femme qu’on attend, elle est toujours différente, — et on ne sait pas pourquoi. C’est exactement ce que j’éprouve avec Fanny.

Son père recula d’un pas, dégageant son bras :

— Avec Fanny ? Mais, mon ami, je l’espère bien ; seulement, je ne vois pas…

— Voyons, père, ne soyez pas cachottier ! N’a-t-elle pas été, autrefois, votre Fanny ?

Dallas appartenait de tout son être à la nouvelle génération. À ce premier né de Newland et de May Archer, il avait été impossible d’inculquer les plus élémentaires notions de réserve. « Pourquoi faire des mystères ? Les gens flairent toujours ce qu’on veut leur cacher, » objectait-il quand on lui recommandait la discrétion. Mais Archer, rencontrant les yeux de son fils, sentit la lueur filiale sous la malice.

— Ma « Fanny »… ?

— Eh bien ! la femme pour laquelle vous auriez tout envoyé promener. Seulement, vous ne l’avez pas fait.

— Non, je ne l’ai pas fait, répéta Archer avec une sorte de solennité.

— Vous datez, voyez-vous, mon pauvre papa ! Ma mère m’a dit…