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n’est pas une faillite, tant qu’il garde la dignité d’un devoir. Archer honorait ce passé dont il portait le deuil : après tout, il y avait du bon dans les anciennes traditions.

Il embrassa du regard sa bibliothèque transformée par Dallas, qui y avait mis des gravures anglaises, des cabinets Chippendale, des porcelaines de Chine, et sur les lampes électriques avait substitué aux globes de verre gravé la douceur lunaire des abat-jour. Puis ses yeux revinrent au vieux bureau de noyer qu’il n’avait jamais voulu bannir, et à la première photographie de May qu’il avait gardée toujours à la même place.

Elle était là, devant lui, grande, cambrée, la poitrine ronde soulevant sa robe d’organdi, le visage ombragé sous les bords onduleux d’une paille d’Italie, telle qu’il l’avait vue sous les orangers de Saint-Augustin. Elle était restée jusqu’à la fin la May de ce jour-là : généreuse, fidèle, constante, mais si dénuée d’imagination, si peu ouverte aux idées, que le monde de sa jeunesse avait pu tomber en miettes et se reconstruire sous ses yeux, sans qu’elle eût pris conscience du changement. Cette incapacité de s’adapter au mouvement du temps avait amené ses enfants à lui cacher leurs pensées, comme Archer lui avait toujours caché les siennes. Père et enfants s’étaient inconsciemment entendus pour maintenir autour d’elle l’illusion de l’uniformité. Et May avait quitté ce monde, convaincue qu’il était plein de ménages aimants et harmonieux comme le sien, résignée à partir parce qu’elle était certaine que Newland continuerait à inculquer à Dallas les mêmes principes et les mêmes préjugés qui avaient façonné la vie de ses parents, et que Dallas à son tour, quand Newland la suivrait, transmettrait le dépôt sacré au petit Bill. De Mary, elle était sûre comme d’elle-même.

Aussi, après avoir arraché le petit Bill à la mort et payé cet effort de sa vie, elle était partie avec sérénité prendre sa place dans le caveau des Archer à Saint-Marc, où sa belle-mère reposait déjà.

En face du portrait de May se trouvait celui de sa fille. Mary Chivers aussi était grande et blonde, mais elle avait la taille large, la poitrine à peine indiquée, et cette nonchalance d’attitude que permettait la nouvelle mode. Mary Chivers n’aurait pas pu accomplir ses hauts faits d’athlétisme avec les cinquante centimètres de tour de taille que mesurait la cein-