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pouvoir ne l’empêcherait désormais de poursuivre son projet, il avait trouvé la force de laisser les événements se dérouler d’eux-mêmes ; mais, tandis qu’il tenait le manteau de Mme  Olenska, il fut pris du fiévreux désir de se trouver un moment seul avec elle quand elle monterait en voiture.

— Votre voiture est-elle là ? demanda-t-il.

Mais Mrs van der Luyden, qui entrait avec majesté dans ses zibelines, intervint :

— Nous allons reconduire la chère Ellen.

Archer se tut, accablé. Mme  Olenska lui tendit la main.

— Adieu, dit-elle.

— Adieu, répondit-il. À bientôt… à Paris.

— Que ce serait aimable, murmura-t-elle, si vous pouviez y venir avec May !

Mr van der Luyden offrit son bras à Mme  Olenska et Archer le suivit avec Mrs van der Luyden. Un moment, dans la vague obscurité du grand landau, il entrevit le pâle ovale d’un visage, le rayonnement d’un regard…

Elle avait disparu.

Archer entendit May qui lui disait :

— N’est-ce pas que tout s’est passé à merveille ?

Il tressaillit. Aussitôt après le départ de la dernière voiture, il monta dans la bibliothèque, fermant la porte derrière lui avec l’espoir que sa femme, qui s’attardait en bas, se rendrait directement à sa chambre. Mais il la vit bientôt arriver, le visage creusé par la fatigue et l’émotion, avec une excitation un peu fébrile dans le regard.

— Puis-je entrer ? demanda-t-elle.

— Sans doute ; mais vous devez tomber de sommeil.

— Non, je voudrais rester un peu avec vous, causer avec vous.

Il lui avança un fauteuil près du feu.

— Puisque vous voulez causer, commença-t-il, soit !… Moi aussi, j’ai quelque chose à vous dire… J’ai essayé l’autre soir… Je ne puis continuer à vivre ainsi. J’ai besoin d’un changement. Je veux m’en aller, et tout de suite… partir pour un long voyage… aussi loin que possible… loin de tout !

— Si loin que cela ? Où, par exemple ?

— Que sais-je ? Aux Indes, ou au Japon.

Elle se leva. Comme il restait courbé, le menton dans les mains, il la sentit se pencher sur lui.