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des yeux vagues, sentant près de lui la muette interrogation de sa femme. En descendant de voiture, May prit sa robe dans le marchepied et tomba contre lui.

— Vous êtes-vous fait mal ? demanda-t-il en la soutenant de son bras.

— Non, mais ma pauvre robe, — voyez comme je l’ai déchirée ! Elle se courba pour ramasser la traîne souillée et le suivit dans le vestibule.

Quand ils furent dans la bibliothèque :

— May, dit Archer, j’ai quelque chose à vous dire, quelque chose d’important…

Il se tenait à quelques pas d’elle, la regardant comme si la légère distance qui les séparait était un abîme infranchissable. Sa voix résonnait d’un accent étrange dans le silence de cette pièce intime. Il répétait :

— J’ai quelque chose à vous dire…

May s’était laissée tomber dans un fauteuil. Elle restait muette, immobile, sans un battement de paupières. Quoique extrêmement pâle, son visage avait une tranquillité d’expression qui semblait venir d’une source secrète.

Archer refoula les formules banales qui lui venaient aux lèvres pour s’accuser lui-même. Il était résolu à une confession totale et brève.

Mme  Olenska…, dit-il.

Mais à ce nom, sa femme leva la main comme pour lui imposer silence.

— Pourquoi parler d’Ellen ce soir ? demanda-t-elle avec une légère moue d’impatience.

— Parce que j’aurais dû déjà vous parler d’elle.

La figure de May conserva son calme.

— Est-ce vraiment utile ? Je sais que j’ai été quelquefois injuste envers elle ; peut-être l’avons-nous tous été. Vous l’avez comprise sans doute mieux que nous. Vous avez toujours été bon pour elle. Mais puisque tout cela est fini…

Archer la regarda, stupéfait.

— Qu’est-ce qui est fini ? Qu’entendez-vous par là ?

May continuait à le fixer de son clair regard.

— Ne savez-vous pas qu’elle repart dans quelques jours pour l’Europe ! Grand’mère consent et a tout arrangé pour la rendre indépendante de son mari ! Je croyais que vous aviez été retenu