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— Elle est sortie, mon enfant, sortie dans ma voiture, pour aller voir Regina Beaufort !

Elle s’arrêta, laissant cette déclaration produire tout son effet.

— Voilà où nous en sommes déjà ! Le lendemain de son arrivée, elle a mis son plus beau chapeau, et m’a dit avec un parfait sang-froid qu’elle allait voir Regina Beaufort. J’ai répondu : « Je ne la connais plus ! — C’est votre petite nièce, une femme malheureuse ! — La femme d’un misérable ! — Et moi donc ? Cependant toute ma famille veut que je retourne chez mon mari. » Eh ! bien, à cela je n’ai rien trouvé à répondre et je lui ai permis d’y aller. Aujourd’hui je lui ai même permis d’y aller dans ma voiture !… Après tout, Regina est une femme courageuse, et Ellen aussi : et j’aime le courage par-dessus tout.

Archer se pencha et appuya ses lèvres sur la petite main qui tenait encore la sienne.

— Eh ! Eh ! Eh ! Quelle main imagines-tu embrasser, jeune amoureux ? Celle de ta femme, j’espère…, fit la vieille dame avec un gloussement moqueur ; et comme il se levait pour partir, elle lui cria :

— Dis-lui les tendresses de sa grand’mère. Mais il vaut mieux ne pas lui parler de notre conversation.


XXXI


Archer était abasourdi de ce que lui avait appris la vieille Catherine.

Que Mme Olenska fût accourue à l’appel de sa grand’mère, c’était tout naturel, — mais qu’elle se décidât ainsi à rester chez Mrs Mingott, maintenant que celle-ci était presque remise, cela s’expliquait moins facilement.

Archer était sûr que les considérations matérielles n’étaient pour rien dans cette nouvelle résolution. Elle avait eu d’autres raisons. Ces raisons, il n’avait pas à les chercher bien loin. En revenant de la gare, Mme Olenska lui avait dit qu’ils devaient vivre séparés l’un de l’autre ; mais elle le lui avait dit la tête sur sa poitrine. Il la savait incapable d’un calcul de coquetterie. Elle luttait contre son sort, comme il avait lutté contre le sien : elle s’attachait de toutes ses forces à la résolution de ne pas