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La catastrophe de l’Empire russe par la Révolution vint tout à coup changer, au bénéfice de l’Angleterre, les perspectives ouvertes à son activité ; la route de Constantinople, non seulement n’était pas perdue, mais la succession de la Russie en Asie s’ouvrait ; c’était pour l’Angleterre une première victoire. Sa politique militaire et diplomatique rebondit et va de l’avant. Dès lors, en attaquant et en poussant vigoureusement les armées turques, elle est assurée de ne plus travailler pour le Tsar ; elle se hâte de préparer la campagne de 1918, qui se termine par la capitulation de la Turquie. L’ivresse d’un triomphe inespéré s’empare des cerveaux anglais et c’est la vieille politique anti russe de l’India-Office qui l’emporte avec lord Curzon. Il semblait à cet éminent homme d’Etat qu’absorber la succession entière de l’Empire ottoman, avec une partie de celle de la Russie ; était nécessaire pour la défense des avancées de l’Inde. La route de Suez comme celle de Constantinople seraient ainsi à la disposition de l’Empire britannique. Il ne s’agissait plus, cette fois, d’une simple politique des ports et des détroits, mais d’un grand système d’hégémonie continentale. Les vraies frontières géographiques et politiques de l’Inde seraient ainsi les déserts du Turkestan, la Caspienne, le Caucase, la Mer notre et les Détroits de Constantinople ; l’enclave française de Syrie devrait disparaître. Ainsi l’Angleterre reviendrait au vieux programme politique de Palmerston et de Disraeli.

Les conséquences de cette grandiose illusion ont été déplorables. L’Angleterre a cru d’abord que la Turquie allait devenir une nouvelle Égypte et le Sultan un autre Khédive ; elle a négligé de la désarmer, elle a tardé à constituer les nationalités non turques auxquelles la victoire des Alliés était apparue comme une résurrection, et, pour dégoûter la France de son rôle historique en Syrie, elle a suscité contre elle le nationalisme arabe et le prince Feyçal. Il en est résulté que le nationalisme turc trouva toutes facilités pour s’armer et s’organiser et qu’il est devenu un danger pour l’Angleterre, pour la France, et pour tous les peuples chrétiens du Levant. En même temps, la Russie des Soviets reprenait en Asie une politique aussi nationaliste et plus énergiquement conquérante que celle des Tsars. L’abandon de Bakou fut une première déconvenue ; ensuite nous avons vu l’évacuation de Batoum ; enfin l’invasion de la Perse par les armées soviétiques. La suprématie britannique dans la Caspienne