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incrusté de pierres précieuses. La faible clarté, qui tombe de la coupole, et le scintillement des cierges entretiennent dans la nef une pénombre rutilante et fauve.

L’Empereur et l’Impératrice se placent devant l’ambon de droite, au pied du pilier où s’adosse le trône des Patriarches.

Dans l’ambon de gauche, les chantres de la Cour, en costume du XVIe siècle, argent et bleu pâle, entonnent les admirables hymnes liturgiques du rite orthodoxe, les plus beaux chants peut-être de la musique sacrée.

Au fond de la nef, en face de l’iconostase, les trois métropolites de Russie et douze archevêques sont alignés. A leur gauche, dans tout le bas-côté, cent dix évêques, archimandrites et higoumènes sont groupés. Une richesse fabuleuse, une profusion inouïe de diamants, de saphirs, de rubis, d’améthystes, resplendit sur le brocart des mitres et des dalmatiques. Par instants, l’église rayonne d’un éclat surnaturel.

Buchanan et moi, nous sommes placés tous deux à la gauche de l’Empereur, en avant de la Cour.

Vers la fin du long office, le Métropolite apporte à Leurs Majestés un crucifix contenant un morceau de la vraie Croix, qu’Elles baisent pieusement. Puis, au travers d’un nuage d’encens, la famille impériale défile autour de la cathédrale, pour s’agenouiller devant les reliques illustres et les tombes des Patriarches.

Pendant ce défilé, j’admire l’allure, les attitudes, les prosternements de la Grande-Duchesse Élisabeth. Malgré qu’elle approche de la cinquantaine, elle a gardé toute sa grâce et sa sveltesse d’autrefois. Sous ses voiles flottants de laine blanche, elle est aussi élégante et séduisante que jadis, avant son veuvage, au temps où elle inspirait les passions profanes… Pour embrasser l’image de la Vierge de Wladimir, qui est encastrée dans l’iconostase, elle a dû poser le genou sur un banc de marbre, assez élevé. L’Impératrice et les jeunes grandes-duchesses, qui la précédaient, s’y étaient prises à deux fois et non sans quelque gaucherie, afin de se hausser jusqu’à la célèbre icône. Elle l’a fait d’un seul mouvement, souple, aisé, majestueux.

Maintenant, l’office est achevé. Le cortège se reforme ; le clergé passe en tête. Un dernier chant, d’une envolée superbe, remplit la nef. La porte s’ouvre.