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ce soir. Il emmène avec lui mon premier attaché militaire, le général de Laguiche, et l’attaché militaire anglais, le général Williams. Le Grand-quartier général est à Baranovitchi, entre Minsk et Brest-Litovsk. Je garde auprès de moi mon second attaché militaire, le commandant Wehrlin, et mon attaché naval, le capitaine de frégate Gallaud.

Le Gouvernement roumain a décliné les propositions du Gouvernement russe, en alléguant les rapports d’ancienne et intime amitié qui unissent le roi Carol à l’empereur François-Joseph ; il prend acte néanmoins de ces propositions, dont il apprécie hautement le caractère sympathique ; il conclut que, dans la phase actuelle du conflit qui divise l’Europe, il doit borner ses efforts au maintien de l’équilibre balkanique.

L’avertissement que Sazonow m’avait prié de transmettre à notre marine, il y a sept jours, a été vain. Deux grands croiseurs allemands, le Goeben et le Breslau, ont réussi à se réfugier dans la Mer de Marmara. Que le Gouvernement turc soit complice, la question ne se pose même pas.

A l’Amirauté, on est fort ému ; on redoute les dégâts matériels et plus encore l’effet moral d’une attaque dirigée sur les côtes russes de la Mer-Noire.

Sazonow voit plus loin :

— Par ce coup de surprise, me dit-il, les Allemands ont décuplé leur prestige à Constantinople. Si nous ne réagissons pas immédiatement, la Turquie est perdue pour nous… Et même elle se déclarera contre nous ! Alors, c’est l’obligation de disperser nos forces sur le littoral de la Mer-Noire, sur la frontière d’Arménie et la frontière de Perse !…

— D’après vous, que faudrait-il faire ?

— Mes idées ne sont pas encore arrêtées… A première vue, il me semble que nous devrions offrir à la Turquie, pour prix de sa neutralité, une garantie solennelle de son intégrité territoriale ; nous pourrions y ajouter la promesse de grands avantages financiers, au détriment de l’Allemagne.

Je l’encourage à chercher, dans cette voie, la solution qui s’impose d’urgence.

— Maintenant, reprend Sazonow, je vais vous confier un secret, un grand secret… L’Empereur a résolu de reconstituer la Pologne et de lui accorder une large autonomie… Ses intentions seront annoncées aux Polonais dans un manifeste, qui