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qui sont le plus imprégnés des idées françaises. Je me trouve donc dans une atmosphère d’intime et chaude sympathie.

Dès l’entrée, tous les trois m’acclament d’un : « Vive la France ! » Avec l’accent de droiture et de simplicité qui lui est propre, le Grand-Duc m’exprime son admiration pour l’unanime élan qui a fait voler le peuple français au secours de son allié :

— Je sais que votre Gouvernement n’a pas hésité une minute à nous soutenir, quand l’Allemagne nous a obligés à nous défendre. Et c’est déjà fort beau… Mais que la nation tout entière ait compris instantanément son devoir d’alliée ; que, dans aucune classe de la société, dans aucun parti politique, il n’y ait eu la moindre défaillance, la moindre protestation, voilà ce qui est extraordinaire, sublime !

Stakhowitch reprend :

— Oui, sublime !… La France d’aujourd’hui ne fait d’ailleurs que persévérer dans sa tradition historique ; elle a toujours été le pays du sublime.

J’acquiesce, en soulignant :

— C’est vrai. Le peuple français, qu’on a tant accusé de scepticisme et de frivolité, est certainement celui qui s’est le plus souvent jeté dans la lutte pour un motif désintéressé, qui s’est le plus souvent dévoué à une cause idéale.

Puis, je raconte à mes hôtes la longue suite des faits qui ont rempli ces deux dernières semaines. De leur côté, ils me rapportent un grand nombre de témoignages ou d’épisodes qui attestent l’union de tous les Russes dans la volonté de sauver la Serbie et de vaincre l’Allemagne.

— Personne, me dit Stakhowitch, personne en Russie n’admettrait que nous laissions écraser le petit peuple serbe.

Je lui demande alors ce que pensent de la guerre les membres de l’extrême-droite au Conseil de l’Empire et à la Douma, ce parti influent et nombreux qui, par la bouche du prince Mestchersky, de Stchéglovitow, du baron Rosen, de Pourichkiévitch, de Markow, a toujours prêché l’entente avec l’impérialisme allemand. Il m’assure que cette doctrine, inspirée surtout par des calculs de politique intérieure, est radicalement ruinée par l’agression de la Serbie et il conclut :

— La guerre qui commence est un duel à mort entre le slavisme et le germanisme. Il n’y a pas un Russe qui n’en ait conscience.