Page:Revue des Deux Mondes - 1921 - tome 61.djvu/507

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

corrigé. Elle et Lui parut en janvier 1859 ; le retentissement de cette publication fut considérable.

« Il y a dans la première partie, écrit F. Buloz à son collaborateur, une idée indiquée que vous pourriez peut-être développer par la suite, pour en faire un épisode qui serait bien vrai et fort remarquable. C’est que l’artiste ne peut vraiment être grand et complet que lorsqu’il est maître de sa vie et de sa volonté, qu’il ne dépend ni du hasard, ni de ses caprices. S’il faut de la passion pour faire un poète, il ne faut cependant pas que le poète soit dominé toujours par ses passions et en soit le puéril esclave. Quelle vie n’aurait pas fournie Alfred, s’il avait pu prendre le dessus !

« Pour parler d’un autre mort que je regrette aussi, quelle carrière plus grande et plus utile n’aurait pas eue ce pauvre Planche, s’il n’avait également abandonné sa vie au hasard et à l’aventure ! Ce n’est pas le talent qui a manqué à notre siècle, c’est le caractère. Aussi est-on vieux à l’âge où Rousseau commençait à écrire. On jette sa vie au vent, et on n’est plus capable d’efforts virils, lorsqu’on arrive à l’âge d’homme. C’est ce qui est arrivé à votre héros[1]… »

En février, le succès d’Elle et Lui s’affirmait. Pourtant, voici poindre quelques nuages à l’horizon ; je ne parle pas des lettres anonymes, signe certain de réussite ; mais Paul de Musset commençait à laisser voir son mécontentement ; il voulait répondre, et répondre par un roman de sa façon, avant même la publication de la biographie de son frère qu’il annonçait, et qui ne parut qu’après la mort de F. Buloz, en 1877.

« Je m’attends bien à quelques attaques à propos du roman actuel, écrit George au directeur de la Revue, le 4 mars. Vous défendrez la Revue, je me défendrai, moi, s’il y a lieu ; mais défendre le héros de ce roman serait une sottise, et faire du tort à sa mémoire, que j’ai plus relevée que trahie. J’ai excusé les fautes, j’ai grandi les caractères, j’ai tu les misères réelles. C’est comme cela qu’il faut écrire certaines histoires, et c’est comme cela que, par égard pour tant d’autres, j’ai écrit… l’Histoire de ma vie. Ce n’est pas là mentir, c’est pardonner. J’ai des montagnes de preuves, et, en somme, ce n’est pas là que j’ai puisé mes jugements ; c’est dans mon cœur, plein

  1. 22 janvier 1859. Citée par S. de Lovenjoul, La véritable histoire, etc.