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Dès le mois suivant, l’âme généreuse du poète subit une désillusion, qui se trahit dans une lettre à Maurice[1] :

« Tout ce qu’on a d’idées à répandre et à faire comprendre suffirait à la situation, si les hommes qui représentent ces idées étaient bons ; ce qui pèche, ce sont les caractères. La vérité n’a de vie que dans une âme droite, et d’influence que dans une bouche pure. Les hommes sont faux, ambitieux, vaniteux, égoïstes… et le meilleur ne vaut pas le diable, c’est bien triste. »

F. Buloz, plus rationaliste que sa grande amie, suivait, lui aussi, le mouvement populaire, mais il en voyait, avec anxiété, distinctement les fautes. Libéral, la République n’était pas pour lui déplaire ; pourtant, il ne tarda pas à discerner l’erreur dans laquelle tombait le peuple qui avait fait cette République, et qui en attendait, au lendemain même de sa proclamation, la réalisation des espoirs les plus fervents : « l’espérance d’une refonte totale de la société[2]. » Ce magnifique idéal devait sombrer en juin. Moins idéologue que son amie, le directeur de la Revue des Deux Mondes ne se laissa entraîner par l’éloquence d’aucun apôtre. Mais George ? Non contente d’encourager et d’exhorter la foule par sa présence et sa parole, elle adopte sa croisade, elle lui consacre son activité et son génie. En avril elle fonde la Cause du peuple (revue qui n’eut que trois numéros)[3] ; elle écrit aussi dans le Bulletin de la République, la Réforme, la Vraie République, le Peuple, la Lanterne, et ses articles sont intitulés : Lettres au Peuple, Socialisme, la Souveraineté, c’est l’égalité, la Question sociale ; et puis : Louis Blanc, Barbes, Lettre à Karl Marx, etc. Qu’est donc devenue notre romancière ? où donc est l’auteur de Lélia, de Léone Leoni ou de la Dernière Aldini ? La voici passant avec la foule tumultueuse, accompagnant, le 17 avril[4], la colonne des ouvriers qui se rend à l’Hôtel de Ville. Mais cette foule si « bonne, si polie et fraternelle, » est encadrée de garde nationale. Dès lors, George est mécontente et gronde, Lamartine ne la satisfait plus.

C’est l’époque où elle écrit à Poney : « J’ai le cœur plein et la tête en feu ; » et à son fils : « J’ai fait deux circulaires gouvernementales aujourd’hui, » car elle fréquente les ministères, et

  1. Correspondance. — À Maurice Sand, 27 avril 1848.
  2. Bainville, Histoire de trois générations.
  3. Cette revue parut le 2, le 9, et le 23 avril 1848 (S. de Lovenjoul).
  4. Voir dans la correspondance de G. Sand la lettre du 17 avril à Maurice Sand