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Cependant Lélia vieillit ; un jour vint, même, où elle fut (qui l’eût dit ? ) la bonne dame de Nohant. Les révoltes de sa jeunesse contre la société et l’État devinrent alors des « idées larges ; » on lui passa les théories subversives de son âge mûr et de sa vieillesse : elles n’incommodaient plus personne ; d’ailleurs, tout est permis à la vieillesse, elle ne saurait prêcher pour elle-même, on peut lui abandonner le domaine des idées. — Hélas ! c’est le seul qui lui reste. Pourtant, et déjà en 1848, Lélia éprouva quelques déboires ; si elle demeura libérale, et conserva par la suite ses tendances généreuses, il est permis de croire qu’elle mesura alors toute la distance qui sépare les idéologies magnifiques de leur application à la politique.

Mais sa vie intime est-elle apaisée ? — Guère. — Aux soucis d’autrefois, charmants et terribles, ont succédé d’autres soucis, qui, certes, ne les valent pas. Depuis le 20 mars 1847, Solange est mariée, mais, à la vérité, le mariage de Solange n’apporte à sa mère aucune joie. La « douce Solange, » au contraire, lui donne maints sujets de tracas, puis d’angoisses nouvelles. Chacun est libre dans le jugement qu’il porte sur George Sand ; toutefois, on ne peut nier que ce fut une mère parfaite, passionnée et tendre, dévouée même jusqu’au sacrifice. En Maurice, elle rencontra le fils de son cœur et de sa pensée, ce qu’elle lui donna lui fut rendu au centuple. Mais Solange ?

Le mariage de Solange, auquel assista « M. Dudevant et sa suite » (M. D. comme l’appelle George), fut fort triste, grâce à la présence de cet aimable personnage, dont les rancunes et les aversions sont aussi vives que le premier jour. (En vérité, ce D. est incommode ; ne pourrait-il se faire oublier, disparaître, et par exemple, mourir ? Mais comme tous ses pareils médiocres et jaloux, il persiste à tenir jusqu’au bout son petit rôlet, « sous-fifre dans le grand concert. ») Encore sut-il déguerpir, dans cette occasion, à 4 heures du matin, le lendemain de la cérémonie.

Ce mariage ne fut pas heureux. Il brouilla George avec Chopin[1], et la belle et perfide Solange sut bientôt perpétrer d’autres brouilles, et susciter des querelles nouvelles. Mme Komaroff a écrit qu’elle était « méchante par méchanceté, comme on aime par amour. » Mais on est rarement méchant par

  1. « Il crut Solange et prit parti pour elle. » Karénine, vol. II, p. 581 George Sand.