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d’Odette : « Larzac vous compromet, j’aurais dû vous avertir plus tôt. » Évidemment de mauvais propos étaient arrivés à Malhyver, qui s’en tourmentait sans y croire. Mais non. Il continuait :

— Mon amie, vous venez de passer des heures dont je vois combien elles ont été cruelles, graves aussi, j’en suis sûr. Devant ce pauvre être humain qui vous touche de près par le sang et qui souffre, qui va peut-être mourir, vous avez senti, n’est-ce pas ? qu’il y a dans la vie autre chose que des visites, des essayages, des dîners en ville, des thés dansants et des parties de théâtre… « Comme il me connaît mal ! » songeait-elle. Et lui, indulgent et triste :

— C’est là ce que j’appelle le tourbillon, l’oubli de réalités profondes. On les retrouve, quand on rencontre la plus profonde de toute : la mort. C’est pour cela que je tiens à vous parler ce soir… Sous cette impression, vous me comprendrez mieux…

Cette solennité d’accent étonna Odette. Ce qu’elle avait tant redouté, une allusion à Larzac, lui eût été moins pénible que ce rappel de la criminelle veillée au chevet de sa tante. Mais où donc voulait en venir Géraud ? Elle était habituée, depuis des années, à le considérer comme un original sans suite dans les idées, incapable de savoir au juste ce qu’il voulait, un peu maniaque. Elle l’avait tant vu s’échauffer pour les études et les sociétés les plus déconcertantes ! À vrai dire, ce jugement sévère sur son mari ne lui était venu qu’avec sa passion pour son amant. Dans ses premiers temps de vie conjugale, elle avait accepté cette phrase, prononcée par sa mère, son père, tous ses parents : « Tu épouses un homme très intelligent. » Ce prestige avait eu ce résultat qui avait coïncidé avec les morts survenues coup sur coup de ce père et de cette mère : la perte de la foi. Elle s’était révoltée contre ce qu’elle avait appelé l’injustice de Dieu, et cette révolte s’était changée en une incrédulité totale, par la faute de Géraud. Celui-ci faisait profession de ne pas croire. Son fétichisme des idées les plus modernes l’avait jeté trop tôt dans des lectures qu’il n’était pas armé pour critiquer. Odette l’était moins encore, et puis, ne plus croire, c’était s’évader de disciplines qui l’avaient gênée dans sa première griserie dévie parisienne. Là s’était bornée l’influence du mari sur son ménage.