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— Je ne comprends toujours pas. Si nous devons avoir le malheur de perdre notre pauvre tante… — Ses paupières battaient sur ses yeux, en prononçant cette phrase qui lui fit honte, et le sang lui était venu au visage. — Oui, reprit-elle, si nous devons la perdre et que nous héritions d’elle, il me semble que les raisons de ce départ n’existent plus. Du moins…— Elle le regardait profondément. De nouveau elle entrevoyait la possibilité que cette décision de lui faire quitter Paris eût pour véritable motif chez Géraud un soupçon et une jalousie. Elle hésita, puis risquant le paquet : — Du moins les raisons que vous m’avez données… Vous m’avez dit que quelques placements trop hasardeux pour augmenter nos revenus, l’écroulement des valeurs russes et autrichiennes, l’augmentation des impôts, la hausse générale des prix de tout, le reliquat de nos dettes ne nous permettent plus de vivre comme avant. Vous m’avez démontré la nécessité de louer cet hôtel, de réduire notre train de maison et de nous retirer sur nos terres, pour éviter un désastre définitif et reconstituer la fortune de Roger. Si l’héritage de tante Naïs, comme il y a lieu de croire, est de plusieurs millions… — elle avait au bord des lèvres le chiffre lu sur le testament, — la situation change du tout au tout. Nous sommes plus riches qu’il y a onze ans, quand nous sommes entrés en ménage. D’ailleurs, vous venez de l’avouer vous-même, cette discussion est trop pénible. Nous la reprendrons, si le malheur doit arriver. Laissons-la pour le moment, je vous le demande. — Et se contredisant aussitôt, tant elle avait besoin d’une certitude, elle ajouta : — À moins, je vous répète, que vous n’ayez d’autres raisons que vous ne m’avez pas dites, et à ce point urgentes…

— En effet, répondit Géraud, je ne vous ai pas dit le fond du fond. J’ai une raison plus forte que la nécessité d’argent pour vouloir… — il souligna ce mot en le prononçant, — et ce départ et cette installation là-bas. Je me réservais de vous la dire, dans un moment où nous serions en confiance, où je ne vous verrais pas, comme je vous ai vue tous ces temps-ci, emportée dans le tourbillon. Et puis, je n’ai pas voulu vous gâter cette dernière saison. J’ai peut-être eu tort.

— Mais, demanda-t-elle, qu’avez-vous à me reprocher ?

— À vous ? Rien. À moi, tout.

Cette parole se traduisit immédiatement dans la pensée