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Prince de Condé, et tout naturellement servi dans leur armée. Il avait dû la quitter à la suite de trois duels provoqués par un caractère qui justifiait l’origine du nom des Malhyver : Male hibernatus, — le mal hiverné. C’est ainsi que le célèbre cartulaire de Brioude qualifie leur plus lointain aïeul, d’un sobriquet que les chroniqueurs s’accordent à traduire par « mauvaise tête. » De l’armée de Condé il avait passé à Londres. Là il s’était marié, avec une jeune fille de l’aristocratie anglaise, très riche et qui s’était éprise de sa belle mine. Rentré en France sous la Restauration, il avait, grâce à la fortune de sa femme, reconstitué le domaine familial d’Auvergne, — Ad pompam, comme on eût dit dans le même cartulaire. Car il n’avait plus habité que Paris. Entré dans le monde un peu avant la Révolution, il avait pris dès lors un goût de la vie de société, que le séjour à Londres, dans son opulent mariage, avait encore développé. Sa femme était comme lui, et cette maison du faubourg Saint-Honoré représentait un brillant passé de grandes réceptions parisiennes, comme les hôtels, ses voisins, d’ailleurs. Ce quartier fut celui des financiers de l’Ancien Régime et des hauts dignitaires de Napoléon, personnages tous également fastueux. Leurs demeures leur ressemblaient. Celle-ci offrait, par ses dimensions, un contraste significatif avec le sobre aspect du vieil hôtel de Sailhans, construit au commencement du XVIIIe siècle à la mesure d’une habitation de ville, appropriée à l’existence noblement modeste d’autrefois. A la veille de la ruine, la vaste cour dans laquelle évoluait l’automobile qui ramenait Odette, le perron dont ses pieds gravissaient les marches, le large vestibule, le grand escalier et sa décoration donnaient encore l’idée d’une vie princière, en attendant que les meubles, les tableaux, les tapisseries allassent figurer dans le catalogue d’un autre hôtel, celui des Ventes, sous la rubrique : « Collection de M. le Comte de M… »

Quand l’ascenseur eut déposé la jeune femme, toujours frémissante, au second étage, celui des appartements privés, elle se trouva en face de son mari, Géraud avait épié le retour de l’automobile et il attendait sur le seuil de la petite pièce qui lui servait de fumoir et de bibliothèque. Il demanda :

— Comment va la tante ?

Question si simple et à laquelle il était très naturel qu’Odette s’attendît ! Elle en tressaillit tout entière, comme