Page:Revue des Deux Mondes - 1921 - tome 61.djvu/47

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

— Rien que le fond du nid. J’ai enlevé les plâtras ; j’ai balayé ; j’ai collé du papier huilé sur les fenêtres ; mais, mon père, dans le domaine, l’eau est rentrée partout !

— Ne dis pas cela, petit ! Viens m’aider à dételer !

Le gars s’avança, blond, rose et pesant.

— Elle est partout, je vous dis : elle a couvert le champ où vous fauchiez du blé en 1914.

— Détache les traits de la jument, et ne m’accable pas comme ça !

— Elle coule sur les planches de votre ancien jardin, jusque sur le terre-plein où vous serriez le fumier ; elle remplit tout not’bien, comme le jour où vous avez acheté le domaine.

— Tais-toi ! Aide-moi à porter les matelas et les paillasses, la cage à poules, les provisions, les casseroles, et ce qu’il faudra à la mère pour cuisiner ! On jugera le reste demain, mon garçon, et, s’il y a du dommage, ça sera assez tôt de le voir au réveil.

La jument fut conduite dans la grange, au-delà de la maison, puis l’homme, la femme, l’enfant, entrèrent à la file chez eux. Ce qu’étaient devenues les quatre pièces de la ferme, si propres avant la guerre, ceux-là le devinent, qui ont visité les logements occupés par les troupes. Tout était sali, écorné, rouillé, et ce qui avait pu être emporté, n’était pas là.

La mère tout affairée commandait la manœuvre ; les hommes firent vingt tours de la charrette à la maison, et, pour cette nuit du moins, placèrent un matelas dans la cuisine, un matelas et une paillasse dans la chambre à côté. Ils ranimèrent le feu que Paulin avait allumé ; ils se chauffèrent, eux assis sur des caisses, la mère sur une petite chaise, tous trois exténués, soufflant, contents tout de même de voir la flamme de leur bois. Car c’étaient des branches mortes de peupliers, des branches charriées par les eaux et venues au rivage, qui flambaient sous la hotte de la cheminée. Les maîtres étaient revenus ; les serviteurs recommençaient de servir. On était mieux déjà. Retirés du brouillard et de l’ombre, formant le demi-cercle, le vieux paysan, sa femme et le fils cadet causaient à voix basse, dans leur maison, première île réhabitée de tout un canton de France. Pour écouter, ils se taisaient par moments. Ils pensaient que la brume devait s’être mise en marche, poussée par le vent d’Angleterre ; ils se rappelaient les nuits d’avant la guerre, où la même lame d’air froid glissait sous la porte, et se