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sans les fouiller ? Un cabinet attenant à la chambre contenait une penderie. Odette se lève. Sa pensée se transformant en acte, d’une manière comme mécanique, tant son désir de savoir était fort, elle marche jusqu’à ce réduit, sur la pointe du pied. Lentement elle ouvre la porte, qui ne crie pas. Dans l’obscurité, ses mains se tendent et palpent les robes accrochées là. Elle tressaille de tout son corps, à rencontrer sous ses doigts une masse métallique qui tinte sourdement. C’est le trousseau des clefs, qu’elle tire de la pochette. Elle hésite une seconde, l’oreille tendue vers la chambre. Toujours le même silence, coupé par le même bruit monotone de la pendule et par ce même souffle de la malade, tantôt fort comme un ronflement, tantôt atténué comme un soupir. L’automatisme continue, l’idée s’exécutant à mesure qu’elle apparaît dans l’esprit. Munie du trousseau, Odette sort du cabinet avec les mêmes précautions que tout à l’heure pour y entrer de nouveau, elle écoute et vient au bureau. La lumière de la lampe éclairant mal cette partie de la pièce, il lui faut tâter la plaque, trouver l’ouverture, essayer le panneton de plusieurs clefs. Enfin elle a démêlé celle dont la tige forée épouse la serrure. Elle la tourne. Le pêne cède sous la pression. Elle relève l’abattant. Ses doigts errent partout sur l’intérieur du meuble. Ils rencontrent d’autres serrures, des boutons de tiroirs, un buvard, un porte-plume, un encrier…

Il y a dans les recherches clandestines, si voisines d’être coupables, comme celle où s’engageait Mme de Malhyver, un processus d’entraînement, analogue à la loi d’accélération de la chute des graves. On commence d’agir timidement. La hardiesse s’accroît à mesure, et l’on finit par tout oser. Que la malade dorme ou se réveille, Odette n’y pense plus. D’un pas délibéré, elle va prendre la lampe dans cet angle écarté là-bas. Elle la pose sur la tablette du bureau et commence d’ouvrir les tiroirs les uns après les autres. Toute une existence tenait dans les reliques, entassées aux profondeurs de ce meuble par la vieille fille. C’étaient des lettres jaunies, écrites par des mains aujourd’hui glacées par la mort, des photographies aux teintes foncées, et tout auprès, des notes de fournisseurs acquittées, des reçus de fermages, des contrats d’assurance, des bordereaux d’agents de change, des titres aussi, des billets de banque. L’ordre méticuleux de M, e de Sailhans avait placé, sur chaque