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provoque une scène dont elle avait longtemps gardé rancune à sa tante. Et puis celle-ci avait paru accepter le genre d’existence de sa nièce. Elle ne lui avait plus jamais adressé aucune remontrance. Les rapports entre elles étaient devenus de plus en plus conventionnels. Les visites au vieil hôtel de la rue de l’Université avaient pris rang, pour Mme de Malhyver, parmi ses devoirs de situation, comme de « cortéger » dans les mariages des proches, de mettre des cartes, d’en rendre, de paraître aux ventes de charité. Pendant la guerre, Odette avait choisi de s’occuper d’œuvres d’aveugles, et un rapprochement momentané s’était produit entre la nièce et la tante, avec ce geste de charité, — puis un nouveau refroidissement avec la reprise des sorties mondaines. Jusqu’où était allé ce refroidissement ? Il devrait rester, semble-t-il, chez les Parisiennes les plus follement emportées par le tourbillon des fêtes, une vigilance jamais endormie sur la question d’argent, puisque le coût de leurs plaisirs la leur rappelle sans cesse. Cette vigilance, elles l’ont bien, dans l’arrière-fond de leur pensée. Mais elles s’étourdissent, comme ces viveurs qui dévorent leur patrimoine, sachant qu’au terme de leur dissipation il y a la misère, peut-être le suicide. Il est encore temps d’enrayer, et ils remettent au lendemain, avec un fatalisme qui fait songer au nitchevo des Russes. Que d’héritages Odette avait vus se perdre autour d’elle, faute de petits soins ! Et jamais elle n’avait pris sur elle de les avoir, ces petits soins, envers cette sœur de son père, sa seule très proche parente. Si cependant cette négligence avait eu pour effet de lui aliéner le cœur de sa taule assez complètement pour que la dévote l’eût déshéritée ? Ce crucifix dont la forme indistincte blanchissait dans l’ombre des rideaux, de quoi avait-il parlé à la vieille demoiselle solitaire, chaque soir, avant qu’elle ne s’endormit, chaque matin, quand elle s’éveillait ? De sa famille, — il en venait, — mais aussi de l’Eglise. Qu’une part de cette grande fortune pût aller à des œuvres, Odette l’avait toujours admis. Pour la première fois, elle concevait comme possible que la fortune entière lui fût retirée.

« A-t-elle fait un testament ? » se demanda-t-elle tout à coup.

Cette parole, prononcée par la voix intérieure, la secoua d’un frisson. C’était le doute, et c’était la terreur. Cette dernière et unique chance d’échapper à cet exil loin de Paris, quelques