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longtemps appliqués à la besogne dont ils entendaient se charger eux-mêmes et ils ne l’ont pas abandonnée avant de la croire achevée. Nos alliés se sont installés à demeure auprès de nous, avec toutes leurs équipes d’experts, et ce n’est pas en deux ou trois jours qu’ils ont eu l’illusion d’aboutir. La tâche de demain n’est guère moins lourde que celle d’alors et il serait téméraire de la vouloir accomplir dans l’espace d’un matin. A peine en puis-je donner un aperçu général.

Je me rappelle certain observatoire du front, où je suis allé souvent pendant la guerre et où, à courte distance des tranchées ennemies, il était facile de faire « un tour d’horizon » sur des villages occupés. Toutes les fois que je regardais ce triste paysage, je lui retrouvais la même physionomie désolée. Le tour d’horizon auquel j’invite chaque quinzaine les lecteurs de la Revue n’est pas beaucoup plus joyeux. Nous revoyons constamment devant nous les mêmes ruines et les mêmes brouillards. De temps en temps, nous avons même à constater une nouvelle destruction. Depuis la visite que nous avons faite à notre observatoire familier, rien n’est changé ou pas grand’chose. Si nous nous tournons du côté de l’Orient, nous aurons cependant encore une déception. Nous apercevrons là-bas, au Sud de la Syrie, trois rivières qui ont un volume d’eau suffisant pour fournir de la force motrice et pour alimenter autour d’elles des canaux d’irrigation : le Jourdain, la Litany et le Yarmouk. Il y a un mois, elles étaient dans la zone française. Elles y avaient été laissées, en 1916, par l’arrangement que M. Georges Picot avait alors signé à Londres avec M. Mark Sykes. Elles n’en avaient pas été retirées, en janvier 1919, lorsque l’Angleterre avait obtenu que le mandat sur la Palestine, au bleu de rester international, lui fût attribué, pour être remis par elle au Sionisme. Mais, depuis une convention du 23 décembre qui laisse, il est vrai, dans notre zone le Yarmouk, et qui ne touche pas aux eaux de la Litany, il a été ouvert, en plein cœur de la Syrie, une entaille large de vingt-cinq kilomètres et profonde de cinquante ; le bassin de la Litany a été fortement entamé et la haute vallée du Jourdain, jusqu’à Banias et Métullah, a été annexée à la Palestine, dont la frontière monte maintenant à soixante-quinze kilomètres de Damas. Un écrivain distingué, blessé de guerre et député, M. André Fribourg, a qualifié ce nouvel accord de marché de dupes et M. Jacques Bardoux a, de son côté, fait très justement remarquer que notre mandat syrien, dont j’ai, il y a quinze jours, précisé ici même les limites, ne nous conférait pas le droit de modifier les frontières historiques d’un peuple libre et de concéder sans l’assentiment des