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— Je pensais bien vous rencontrer ici, Newland. En apprenant l’attaque de la vieille Mrs Mingott, je suis parti pour demander des nouvelles, et je vous ai aperçu tournant le coin. Vous en venez, je suppose ?

Archer fit signe que oui, et poussa le télégramme sous le guichet.

— Ça va mal, hein ? continua Lefferts. On avertit la famille ? Ça doit être grave, si vous y comprenez la comtesse Olenska !

Les lèvres d’Archer se serrèrent et il eut une furieuse envie de gifler ce long, élégant et vaniteux visage.

— Qu’entendez-vous par là ? questionna-t-il sèchement.

Lefferts, qui d’ordinaire évitait les discussions, leva les sourcils, comme pour rappeler à son compagnon que derrière le grillage se tenait une oreille attentive. Rien n’était de plus mauvais ton (Lefferts le faisait comprendre par ce geste) que de se quereller dans un lieu public.

Archer était exaspéré ; mais il fallait éviter un incident sur le nom de Mme  Olenska. Il paya le télégramme, et les deux jeunes gens sortirent ensemble. Dans la rue, Archer, ayant retrouvé son sang-froid, déclara que Mrs Mingott allait beaucoup mieux. Lefferts se déclara heureux et soulagé et s’empressa de passer à la faillite de Beaufort qui était annoncée par tous les journaux, reléguant au second plan la nouvelle de l’attaque de Mrs Mingott.

Tout New-York était contristé par l’histoire du déshonneur de Beaufort. Quant à Mrs Beaufort, depuis sa démarche nocturne auprès de Mrs Manson Mingott, on la trouvait plus cynique encore que lui. Pourtant elle n’avait pas l’excuse d’une origine étrangère. Il y avait un certain plaisir à se rappeler que Beaufort était un étranger ; mais si une Dallas de la Caroline du Sud prenait parti pour lui, et disait avec désinvolture qu’il rétablirait bientôt sa situation, l’argument perdait de sa valeur. Il n’y avait plus qu’à plaindre les malheureuses victimes, telles que Medora Manson, les pauvres vieilles Miss Lanning, et d’autres dames de bonnes familles, mal conseillées, qui, si elles avaient seulement écouté Mr Henry van der Luyden…

— Ce que les Beaufort ont de mieux à faire, — disait Mrs Archer, se résumant comme pour un diagnostic, — c’est d’aller vivre dans la petite propriété de Regina dans la Caroline du Nord. Beaufort a toujours eu une écurie de courses : il pour-