Page:Revue des Deux Mondes - 1921 - tome 61.djvu/387

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

chacun des versets de la litanie de griefs qu’il a défilée.

Pour ne nous occuper ici que de nous, le moment où M. d’Annunzio exhortait ses compatriotes à cultiver en eux-mêmes le souvenir de nos torts est précisément celui où, à Paris, nous interposions nos bons offices entre eux et leurs contradicteurs. Son appel à la rancune était donc, pour ce qui est de nous, aussi intempestif et injuste que ceux qu’il avait lancés auparavant, dans divers messages à la presse, où il avait évoqué les« Pâques véronaises, » qui sont un massacre de soldats français en 1797, et fait gronder à nos oreilles, « le rugissement du lion de Saint-Marc. »

Cette frénésie, reste heureusement son privilège. Ce qui ne l’est pas, c’est la conviction d’un déni de justice, qui se commet au détriment de l’Italie, et dont nous nous rendons complices, au moins en le tolérant. Cette conviction est fortifiée par une apologie passionnée de l’effort italien et de ses résultats, que personne ne conteste. On tend à persuader au peuple : « vous êtes les grands vainqueurs de la guerre, » pour qu’il conclue : « et les grands sacrifiés de la paix. » Le Gouvernement, privé de ses deux têtes, M. Orlando et M. Sonnino, et dirigé par un intérimaire, le ministre des Colonies, commence à être débordé.

La nouvelle du projet Tardieu détermine une détente et nous vaut un répit. Mais celle de son échec rend l’opinion italienne à un marasme. Et rien de ce qu’elle apprendra de Paris n’est propre à l’en tirer. La négociation adriatique est stationnaire et paraît arrivée au point mort. Désespérant d’y trouver une issue immédiate, la délégation italienne s’est résignée, faute de mieux, à temporiser et s’est rabattue sur la Convention de Londres, où elle se retranche envers les alliés français et anglais. « Nous sommes retranchés dans la Convention de Londres, » télégraphient aux journaux de Rome leurs correspondants de Paris. Le public se lasse avant les délégués du séjour dans cette tranchée. La position parlementaire de M. Orlando et de M. Sonnino est déjà très ébranlée, quand le Président du Conseil revient à Rome pour reprendre contact avec le Parlement. Son contact avec la Chambre est des plus malheureux : dès la première séance, après des déclarations vagues écoutées dans un froid silence, il est mis en minorité et démissionne (19 juin 1919).


XXX.