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de l’Adriatique, après Trieste bien entendu. Les Italiens du royaume regrettaient déjà que Fiume ne fût pas englobée dans leur zone d’armistice. Y installer des Serbes, leurs concurrents, c’était aviver leurs regrets, stimuler leur envie d’y envoyer des troupes, et leur en fournir le prétexte. Toutefois, comme l’armistice de Vittorio Veneto était fondé sur le traité de Londres et avait exclu Fiume de l’occupation italienne, on doit reconnaître que, théoriquement, il était naturel de considérer Fiume comme rentrant dans la sphère yougo-slave et de faire occuper cette ville par des troupes serbes.

A peine le bataillon serbe était-il entré à Fiume, qu’une escadre italienne se présenta devant le port. Le Gouvernement de Rome, le Commando supremo et l’Amirauté avaient jugé la sécurité des Italiens de Fiume menacée par la présence de soldats serbes dans la ville, en raison de l’état d’esprit qui en résultait chez les Yougo-Slaves de Sussak. Déjà, disaient-ils, l’ordre public était compromis, des troubles se produisaient et leurs frères de race faisaient appel à leur protection. En réalité, il n’avait été constaté à Fiume ni désordres, ni vexations infligées aux Italiens. De la part de ces derniers, il ne pouvait donc être question encore que d’inquiétude, de froissement à leur sentiment d’italianité. Mais c’était assez pour déterminer le Gouvernement de Rome à intervenir et à profiter de l’occasion. Entre l’amiral Rainer, qui commandait l’escadre, et les autorités militaires serbes de Fiume, des pourparlers s’engagèrent, qui eurent pour témoin un officier de marine français. Les Serbes consentirent à s’en aller, à condition que les Italiens ne débarquassent pas, ce que promit l’amiral Rainer. En conséquence, le bataillon serbe évacua Fiume-ville. Mais le commandant italien de troupes d’infanterie, embarquées sur l’escadre, déclara qu’il n’était pas placé sous les ordres de l’amiral, dont l’engagement ne le liait pas, et qu’il avait l’ordre de ses supérieurs militaires de débarquer son contingent. L’amiral ainsi désavoué, le contingent italien fut, en effet, débarqué, aussitôt les Serbes retirés aux portes de la ville.

L’acte fut sévèrement jugé par ceux, peu nombreux, qui en eurent alors connaissance. Il est certain que cette initiative d’un subordonné, interprétée, avec quelque apparence de raison, par les Serbes comme un manquement à la parole donnée, a été grosse de conséquences et a pesé sur les